Dans l’atelier de Bernard Villers
Jusqu’au 28 octobre au Botanique, il y a une très belle exposition sur Bernard Villers : « La couleur manifeste« . Manifeste, la couleur l’est. Plus que présente dans son œuvre, elle en est le sujet. Nous sommes partis à la rencontre de ce grand artiste. Bernard Villers nous reçoit dans son atelier au milieu de ses oeuvres. Un univers coloré, délicat, drôle… tout à son image.
Vous êtes né le 6 février 1939 à Watermael-Boitsfort d’un père écrivain et d’une mère chroniqueuse. Votre oncle était également peintre. On peut dire que le côté artistique peignait dans votre famille ?
Oui le climat était plus que favorable. Mon oncle était très attentif à ce que je faisais surtout quand j’étais étudiant à la Cambre. La peinture est née chez moi, le jour où j’ai réalisé une gouache et mon père l’a fait encadrer. Je crois que ce sont des choses comme ça qui vous marquent. Tout d’un coup, vous êtes pris au sérieux et cela vous donne le courage de continuer…
Quel a été le déclencheur pour faire la Cambre en peinture?
Je m’étais inscrit en première année de Droit à la base. Et un professeur me voyant bafouiller et voyant que ça ne m’intéressait pas du tout, m’a un jour posé la question si le droit m’intéressait. Et je lui ai répondu que non. J’ai dit à mes parents que je voulais arrêter pour faire des études artistiques et ils ont trouvé ça très bien. Je me rends compte que je suis assez privilégié, je n’ai pas été rejeté comme c’était souvent le cas à cette époque-là. Arrivé à la Cambre, j’ai été un peu déçu… C’est curieux d’être dans une école qui se revendique avec une certaine culture alors que beaucoup de professeurs, des gens bien, étaient des notables dans l’Art belge. Ils n’étaient pas spécialement compétents et n’avaient pas une vocation de pédagogues, mais on les catapultait là. C’était comme un titre honorifique. Sans vouloir être méchant, je me souviens qu’ils ne regardaient même pas nos travaux, ils en profitaient pour nous faire la discussion… comme une discussion mondaine (rire).
Vers 1968, vous étudiez la sérigraphie aux Arts et Métiers. Vous direz plus tard que la sérigraphie a clarifié votre travail.
Oui tout à fait. Ça a permis de balayer cette facilité que j’avais. Avant je peignais avec une certaine fougue avec une sorte de vieille tradition post-cubiste…un travail bien fait, achevé… C’était très gai aussi, car je passais beaucoup de temps sur une peinture. Mais ce côté où « on a une patte » m’énervait, car je trouvais ça très élitiste. La rencontre de Mondrian, de l’art construit … Tout ça m’a poussé à éliminer tout ce qui touchait à la pose, au geste… pour aller vers des positions plus radicales, plus claires… avec plus de simplicité.
Vous dites souvent que « tout vient un peu par hasard »…
C’est un hasard qui est très objectif, je crois. Si je ramasse des caissons de fromage, ce n’est pas n’importe quoi… La forme m’intéresse et elle rejoint mes idées.
Pour l’exposition au Botanique, vous avez travaillé avec Cécile Vandernoot et Daniel Dutrieux. Vous avez une relation particulière avec eux…
Oui Daniel un est très très vieil ami qui est artiste et avec qui j’ai beaucoup de complicité. Je connais bien son travail tout comme il connait le mien. Il m’a vraiment bien accompagné. Tout comme Cécile Vandernoot qui est architecte et plasticienne. À l’époque, j’avais relu son mémoire de fin d’études ! C’était deux points de vue qui sont sensibles à l’espace, au rapport qu’on a avec les lieux. Nous étions trois à interroger l’espace du Botanique et à être d’accord qu’il fallait montrer moins de choses et ne pas surcharger l’espace. Au début nous avions mis de côté beaucoup de choses. Je sortais de mon atelier des pièces que je n’avais jamais montrées. Cécile Vanderhoot avait réalisé des plans avec les dessins des oeuvres qu’on souhaitait montrer. Puis, nous avons changé complètement de point de vue en nous rendant compte que les pièces allaient prendre beaucoup de place… et donc toutes les pièces n’ont pas été mises.
Sur l’affiche de l’exposition, on y voit une raclette raclant de la couleur…
C’est assez drôle comment l’idée m’est venue. Un jour, je nettoyais le sol et quand on nettoie, on étend quelque chose. Puis j’ai mis une feuille par terre et j’ai fait le même exercice avec une raclette. Je venais de commencer la sérigraphie et en sérigraphie on utilise une raclette. L’association s’est faite dans ma tête. On étend la couleur dans un sens et dans l’autre avec la raclette… Ce qui était intéressant c’est que j’ai redressé la feuille, mais le caoutchouc de la raclette collait déjà à la feuille… Le système d’accrochage était tout trouvé… Ça tenait comme par miracle ! La peinture est un art assez couteux. Il faut de la bonne couleur sur des bons châssis avec de la bonne toile… Au fond, j’ai souvent récupéré des choses ou la toile n’était plus du lin, mais du coton et tout ça permettait aussi d’autres travaux.
Un projet que vous souhaiteriez voir se réaliser…
Celui de l’exposition en est un ! Comme je dis souvent : en peinture ce que je préfère c’est l’accrochage ! J’ai eu de la chance de pouvoir être souvent exposé. C’est la première fois, à l’inverse que je réalise ce travail d’accrochage avec quelqu’un d’autre et j’aimerais le refaire ! J’aime occuper l’espace avec peu.
Vous trouvez que c’est difficile d’être un artiste en Belgique ?
Oui c’est très difficile ! Il y a beaucoup d’artistes. Le système des galeries est très dur, car ce qui motive la plupart des galeristes c’est l’argent d’abord. J’ai bien évidemment connu quelques galeristes qui défendaient quelque chose, mais la plupart sont des marchands d’art. Et les institutions ne sont pas beaucoup mieux non plus. Mais ici, je ne dois pas me plaindre. Mon expo est très bien relayée. Elle intéresse beaucoup de gens alors que je fais beaucoup de choses en marge des galeries. Moi, ça m’intéresse de faire ce que j’ai envie de faire. Mais il est vrai que les galeristes et les institutions se déplacent rarement d’un parcours bien défini. Ce n’est pas évident… mais je ne suis pas du tout plaintif. Ce qui était différent avant dans les années 80, c’est qu’il y a eu toute une vague où les artistes organisaient eux-mêmes leur exposition. C’était assez mal vu par certains critiques qui trouvaient que ça ne se faisait pas, que s’il fallait se débrouiller soi-même ça voulait dire qu’on n’intéressait pas le public ou le monde de l’art. On a fait beaucoup de choses qui étaient très bien, très intéressantes. Une ou deux décennies plus tard, c’est devenu plus compliqué. Les artistes que j’aimais bien ne voulaient pas prendre le risque d’être en marge. Aujourd’hui, les artistes sont très dynamiques et font beaucoup de choses, mais c’est différent de l’époque de 68, où on contestait l’ordre établi… Aujourd’hui, on trouve des lieux alternatifs, mais non marginaux.
Plus d’info ?
Bernard Villers : site Internet
Photo illustrant l’article : @Christophe Vanderborght