Pietro Pizzuti :
les mots sur les maux
Il y a des gens qui se cherchent et qui trouvent sur le tard ce qui les animent. Il y en a d’autres, comme Pietro Pizzuti, qui savent dès la plus tendre enfance ce qu’ils vont faire de leur vie, telle une évidence. Pietro Pizzuti est comédien, auteur, metteur en scène et traducteur. Depuis 40 ans, il embrase la scène théâtrale belge par ses nombreux talents. Malgré une carrière que plus d’un lui envie, Pietro Pizzuti reste humble, parle de son parcours avec les yeux qui pétillent et une félicité. Voir Pietro Pizzuti sur scène ou lire ses œuvres, c’est accepter qu’il vienne toucher une corde sensible, qu’il vous bouscule avec des mots forts et vous laisse avec des questions. Nous le rencontrons chez lui, dans sa maison qui lui ressemble si bien : lumineuse et chaleureuse.
Vous êtes né à Rome, par contre il n’y a aucune indication quant à votre arrivée à Bruxelles…
J’avais 9 mois (rire) ! Je suis né là-bas et puis je suis arrivée ici à une époque bien particulière, celle de l’exposition universelle. Mon père est quelqu’un qui a fait de belles grandes études puis il a été propulsé à un poste à l’Union européenne pour la construction de l’Europe… C’était le tout début et c’était un rêve extraordinaire ! Mon enfance a été une très belle période, vraiment ! Durant ces années-là, il y avait une conscience politique qui était arrivée assez vite… Nous étions des nantis…Nos origines étaient très modestes, mais comme mon père a fait des études qui lui ont permis de faire une carrière extraordinaire…Grâce à ça nous avons eu une enfance des plus merveilleuses, nous avons grandi en étant choyés, protégés, mais avec le sentiment que rien ne nous était dû, nous étions comme les autres et il fallait nous débrouiller ! Plus tard, j’ai eu des professeurs prodigieux qui étaient dans la transmission de savoir…dont un, très clairvoyant, qui nous avait dit que des fils d’émigrés italiens, comme nous, perdaient au fur et à mesure, l’usage de leur langue maternelle, leurs coutumes liées, leurs traditions culinaires …Il avait fondé le Centre d’Action Sociale Italien-Université Ouvrière. Il nous a vraiment ouvert les yeux sur le fait qu’on était né du bon côté de la barrière sociale. Nous sommes donc rentrés dans l’association et nous avons échangé des savoirs. J’ai donné des cours d’italien ou de théâtre…ça été une révélation sur ce qui allait être ma route…
Enfant, vous avez créé un spectacle avec des amis en vacances qui s’appelait « Les Portes ». Et déjà, à cet âge-là, vous assumiez différents rôles : auteur, metteur en scène, acteur …Le théâtre vous appelait déjà ?
J’étais très précoce (rire), mais même encore avant ça… J’avais 5-6 ans et ma soeur Paola jouait « la danse des sabres » et moi je mettais un petit collant vert et je dansais (rire) ! C’était incroyable, le bonheur que j’avais de me donner en spectacle…pas du tout de manière maladive. Et mes parents m’encourageaient ! Puis, l’écriture est arrivée…j’écrivais des poèmes et puis très vite le théâtre ! Durant l’été avec ma bande d’amis, on montait un spectacle…Tout le monde s’y mettait ! J’écrivais, je mettais en scène et je jouais avec mes camarades. Il s’agissait de petites histoires qui se terminaient à chaque fois derrière la porte. On l’a joué plusieurs fois pour la famille, les amis, les gens du quartier… On s’en donnait à coeur joie, c’était l’insouciance totale. Après, j’ai suivi des cours de théâtre à l’école, j’avais 15 ans…et là ce fut la révélation. J’ai su que j’en ferais mon métier. J’étais fasciné d’apprendre par coeur le texte d’un auteur, car c’est l’existence, la vie d’un personnage…c’est sa manière de s’exprimer, d’exister sur scène…C’était pour moi, l’ouverture d’un univers passionné, de créativité.
Et puis, il y a le conservatoire avec Pierre Laroche comme professeur et aujourd’hui vous jouez « Clôture de l’amour » avec sa fille, Sandrine Laroche…
Oui… J’ai eu des maîtres extraordinaires Bernard Marbaix, Bernard De Coster et Pierre Laroche ! Et j’ai toujours eu ce rapport avec eux d’égal à égal. Je leurs vouais un respect total et une confiance aveugle. Pierre était un homme de compréhension, faisant toujours appel aux capacités de dépassement de l’élève. Dans ce métier, tu ne peux jamais te contenter, tu dois être « trop », tu dois donner encore, tu dois aller au-delà de ce que tu ressens en toi comme une mesure…Il me disait « Va au-delà et on gommera. Prends ton espace, prends ta liberté, fais-toi confiance…donne, donne avec cette félicité, cette joie que tu as en toi de partager, de transmettre ». Quand tu es sur scène, tu ne peux pas être de passage…Il faut bouleverser les gens, il faut les toucher, les faire rire et les faire pleurer…Nous, comédiens, nous sommes comme une encre qui imprimons la feuille blanche des émotions des spectateurs… L’histoire avec Sandrine est magique… À la mort de De Coster, je décide de reprendre sa classe au conservatoire avec le consentement de Pierre Laroche qui a ce moment-là était le titulaire. J’étais donc chargé de cours de Pierre Laroche après en avoir été l’élève… et j’ai Sandrine comme élève. Tous les soirs au théâtre des Martyrs, nous jouons, Sandrine et moi pour Pierre. Nous portons en nous les énergies des êtres qui nous ont impressionnés et qui nous ont donné leurs mots, leurs pensées profondes, leur l’affection…
« Qui a tué Amy Winehouse » commence au Théâtre des Martyrs le 28 février, tu en es l’auteur. À l’origine de ce texte, il y a une rencontre; celle avec Gauthier Jansen.
À l’époque, Gauthier Jansen et Steve Driesen sont venus me trouver: « Clowns sans frontières« , comédiens tous les deux, je les avais déjà vus jouer…Ils m’apprennent qu’ils font partie de cette ONG extraordinaire où tous les jours des magiciens, des clowns partent aux quatre coins du monde sous les bombes pour alléger la souffrance, au prix de leur vie. C’est pour moi, un acte d’amour…le plus profond…à son métier et à l’être humain. J’ai tout de suite voulu écrire. J’ai l’habitude d’écrire de manière engagée, d’abord parce que le propos l’est et parce que ça m’engage complètement. Je n’écris pas un théâtre d’eau tiède. J’aime bousculer, interroger…Christine Delmotte était très vite là et a beaucoup aimé. Elle a senti qu’elle pouvait en faire quelque chose sur scène. J’ai eu des retours sur les lectures de différentes personnes. Et c’est riche de tout ça. Ce n’est pas étonnant que ce soit un spectacle d’un potentiel émotif très fort ! Le spectacle propose à la fin un échange avec les comédiens où Gauthier explique l’ONG…donc il y a aussi une dimension d’information sur « Clowns sans frontières ».
Pourquoi ce titre « Qui a tué Amy Winehouse » ?
J’étais un inconditionnel de l’artiste. C’est une question à laquelle personne n’a de réponse…Car personne n’a tué Amy Winehouse…sauf elle-même. C’est donc lié au suicide. J’ai pris cette grande icône, mais si nous avions été dans une autre époque j’aurais pu prendre Maryline Monroe. Chaque époque a son icône qui représente, comme souvent dans le show-business des êtres qui avec leur fragilité n’arrivent pas à dépasser une crise fatale. Ce sont des créatures au destin finalement très explosif, qui n’a rien d’ordinaire, mais plutôt extraordinaire ! Et qui un moment sont piégées par la notoriété, le succès…comme un piège qui se referme sur elles. Je pense que tout un contexte est responsable de cette mort. Dans la pièce, Gauthier arrive, comme elles, au fond du gouffre…
2018 est une année importante pour vous puisque vous célébrez vos 40 ans de carrière…
Oui ! Oulala c’est un événement (rire) ! Je veux vraiment remercier tout ce que j’ai reçu : les êtres que j’ai côtoyés, leur enseignement … donc ces 40 ans, c’est leur fête, c’est ma fête, c’est la fête à tout ce qui a convergé sur mon chemin d’homme de théâtre…des êtres se sont mis ensemble pour m’aider à faire ce chemin, à le compléter, à le peaufiner, à la raffiner … 40 ans c’est une vie ! Jouer, écrire, mettre en scène fait partie intégrante de moi. Je suis certain que je parlais déjà avant d’être né (rire ) ! On entend les mots à l’intérieur et il y a aussi la parole muette de ce qui est pensé. Je pense en italien et je mets des mots sur ces mots…et dans mes spectacles, je mets des mots sur des maux…
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