Jasmina Douieb:
entre chiens et loups!
Connue du grand public pour son rôle de psychologue dans la Trêve, Jasmina Douieb s’est forgée une belle place en tant que metteuse en scène au théâtre. Ses mises en scène sont toujours puissantes et on ressent l’exigence et la passion, qu’il y a derrière. Au Théâtre de Poche, se joue actuellement « L’abattage rituel de Gorge Mastromas » qu’elle a mis en scène et dont le personnage principal n’est autre que Yoann Blanc, son partenaire dans la Trêve. Jasmina Douieb signe une pièce infiniment drôle et provocante qui reflète la pire noirceur de l’âme humaine.
Jasmina Douieb, c’est d’abord un regard bleu-azur qui vous capture. Une personnalité qui dégage un calme et une précision. Rien n’est laissé au hasard, tout est réfléchi et on comprend pourquoi ses pièces sont pointues, justes et puissantes. Un savoureux mélange de douceur et de force comme son nom, Douieb, qui veut dire « petit loup » : « J’aime assez bien l’association de mon nom avec mon prénom qui est celui d’une fleur » « Entre chiens et loups » est le nom de la compagnie qu’elle a fondée: « J’aime cette expression et cette période de la journée: le clair-obscur, les entre-deux« .
La naissance d’une passion
Elle commence le théâtre, à 8 ans, poussée par sa mère qui avait envie qu’elle fasse une activité extrascolaire artistique : « Je devais choisir une activité, c’était la danse ou le théâtre. J’ai choisi le théâtre sans savoir que ça allait me plaire autant« . À 16 ans, elle entre à l’Académie chez Bernard Marbaix où elle fait un cycle complet : diction, déclamation, art dramatique. Mais elle ne choisit pas le Conservatoire directement et se dirige vers l’ULB en philologie romane. « Ma sœur, Monia, entrait au Conservatoire et je n’avais pas envie d’être dans sa classe. Cela me semblait impensable ! De plus, commencer le Conservatoire, c’est entrer dans la vie active d’une certaine manière, et je ne me sentais pas prête. J’adore étudier et les romanes me passionnaient également« . Jasmina Douieb a toujours été attentive à la valeur des mots, à la force de la langue. Elle n’oublie pas le théâtre pour autant : « J’ai continué à faire de l’impro et du théâtre en amateur. J’ai adoré la rencontre entre des personnes d’âges et d’horizons différents« . Elle sortira du Conservatoire en 1999 avec le 1er prix en art dramatique.
La mise en scène
Si sa carrière de comédienne est directement lancée après ses études, il faudra attendre 2011 pour la mise en scène. Comme beaucoup de choses dans la vie, tout est affaire de hasards et de coïncidences. « La mise en scène est venue à moi ; ce n’est pas moi qui ai décidé d’en faire. Cela me semblait être un autre métier« . On lui propose « Cyrano de Bergerac » en duo avec Pierre Pigeolet: « Ce n’était pas rien comme spectacle à mettre en scène, mais j’ai aimé ce projet un peu fou, cet esprit bon enfant qui s’en dégageait, ce travail d’équipe. J’aime quand les choses se construisent. Au terme de l’aventure, je n’étais pas certaine de vouloir poursuivre dans cette voie. C’est Georges Lini qui m’a poussée à réitérer l’expérience avec « La Princesse Maleine » en 2004.« . Et puis, les mises en scène s’enchainent et en 2017, elle reçoit le prix de la critique de la meilleure mise en scène avec « Taking care of baby », un texte de l’auteur britannique Dennis Kelly.
La Trêve
« Ce rôle de la psy était un très grand plaisir d’acteur. Je fais beaucoup de mise en scène, je suis moins dans le jeu, c’est un peu comme si ce rôle rappelait aux gens que je suis également comédienne. Comme la série est diffusée sur Netflix, je reçois des messages de personnes un peu partout dans le monde. Je n’avais jamais connu pareille ampleur ». La transition théâtre-cinéma a été particulière: « Ce qui m’a marqué, c’est l’économie du jeu. Il ne s’agit pas de jouer moins fort, mais de jouer différemment. Jouer sans public, mais surtout jouer avec plein d’autres facteurs : le montage, la musique et la façon dont le réalisateur a envie d’utiliser une image. C’est également jouer les scènes, pas forcément dans l’ordre chronologique de l’histoire, mais par lieux. J’admire beaucoup Yoann (Blanc qui incarne Yoann Peeters). Le fait d’avoir tourné avec lui m’a donné encore plus envie de jouer en sa compagnie sur les planches. Et quand, j’ai lu le texte de Dennis Kelly : « L’abbatage Rituel de Gorge Mastromas ». J’ai directement pensé à lui pour le rôle principal. Car il fallait un jeu plus anglais et un comédien capable d’interpréter un homme adolescent, comme un vieillard ».
« L’abbatage Rituel de Gorge Mastromas »
« La lecture d’une pièce de Dennis Kelly est toujours pour moi, une collision frontale, d’où jaillissent des questions. « L’abattage rituel de Gorge Mastromas » fut comme un bain d’eau glacée. J’en suis sortie brûlante. La question du bien et du mal traverse toutes les pièces de Kelly, sous beaucoup de formes, mais il y est toujours question de l’origine du mal. Cette pièce met également en lumière le culte de soi. Gorge Mastromas se rend compte que la seule façon de conquérir la femme qu’il aime est de jouer un personnage inventé. Ce qui est en résonance avec notre société actuelle. Avec les réseaux sociaux, tout le monde met en scène sa vie. Tout le monde se valorise avec un selfie. Dans les textes de Dennis Kelly, on cherche à savoir comment s’organiser avec le mensonge qui est intrinsèquement lié à notre mode de fonctionnement. L’abattage rituel de Gorge Mastromas, c’est avant tout la tragédie d’un monde qui ne finit pas d’enfanter des tyrans. »
Et prochainement
« Avec mes élèves au Conservatoire de Mons, on met en scène un spectacle très laborieux. C’est un travail de titan, mais j’adore ! Je trouve qu’il y a tellement de talents artistiques en Belgique ! Et les jeunes sont tellement plus engagés aujourd’hui. Ensuite, je vais mettre en scène une pièce au Théâtre le Public qui s’appellera « Frontières ». C’est un dialogue entre une Syrienne et un photographe. C’est un texte très beau, qui vous assaille de questions. Ce qui m’inspire en art, c’est quand ça me pousse à me poser des questions ».
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