Angelo Bison :
« En explorant la part obscure de ces personnages, j’explore un peu la mienne »
Angelo Bison, c’est d’abord un regard qui vous perce à la fois dur et tendre. Puis, c’est un homme dont la richesse du jeu est infinie. S’il interprète des rôles forts au théâtre depuis une quarantaine d’années, c’est son rôle de tueur d’enfants démoniaque dans Ennemi Public qui le fait connaître en dehors de nos frontières. Premier prix d’art dramatique et de déclamation au Conservatoire Royal de Bruxelles, le comédien a déjà interprété ou mis en scène plus de 100 pièces d’auteurs classiques. Il est aujourd’hui sur les planches du Théâtre des Martyrs avec un seul en scène : « L’avenir dure longtemps ».
Votre père est arrivé en Belgique en 1947 faisant partie de la première génération d’immigrés italiens pour travailler dans les mines. Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance ?
Je garde peu de choses de mon enfance, car je l’ai passée dans la rue. J’habitais une petite commune du Hainaut : Morlanwelz. Mon père a eu la silicose, la maladie des mineurs, assez vite. C’est donc lui qui m’a élevé pendant que ma mère travaillait. De ce fait là, j’ai gardé tout le côté « tâches ménagères ». Je ne suis pas le genre d’homme à ne rien faire à la maison. J’adore cuisiner, je fais le ménage… Ce qui rend très heureuse mon épouse (rire) ! Par contre, j’avais horreur de l’école. C’était vraiment de l’ordre d’une répulsion. Mes parents me laissaient beaucoup de liberté et je préférais aller jouer dans la rue que d’aller à l’école.
Et comment le théâtre arrive dans votre vie ?
Il arrive bizarrement… J’ai obtenu quand même un diplôme d’électricien et à 17 ans je suis allé travailler dans une usine de faïencerie où ma mère travaillait. J’y ai travaillé jusque 21 ans. Le soir, je m’ennuyais un peu… Et un jour, j’ai vu une annonce pour suivre des cours d’art dramatique. Et je me suis dit pourquoi pas. Je n’avais jamais eu de réelles aspirations. J’aurais pu être électricien comme plombier, ça m’était égal… et puis soudain quelque chose apparait et cela résonne comme une évidence. A 21 ans, j’ai tout quitté. Mes parents sont rentrés en Italie avec ma soeur et moi, je suis arrivé à Bruxelles… et Bruxelles m’a accueilli !
Vous entrez au Conservatoire. Comment le vivez-vous ?
C’était l’horreur la plus totale. Claude Étienne était mon professeur, je lui dois énormément…je lui dois ma carrière. J’étais dans une classe de gens très fortunés et moi je venais d’une cité. Je me demandais ce que je faisais dans ce milieu. Les gens parlaient et c’était à peine si je les comprenais. J’ai vraiment dû m’accrocher. En plus, je n’avais pas d’argent. J’avais juste mes allocations familiales à l’époque c’était même pas 100 euros. Je devais me loger, me nourrir. Ce n’était pas évident ! Il a fallu manger de la vache enragée….mais c’était une époque très belle. Bruxelles était belle à l’époque ! Il y avait plein d’endroits où on pouvait sortir, où on pouvait boire un godet pour deux fois rien. Puis, j’ai eu de la chance d’être engagé par Claude Étienne comme comédien, en deuxième année au Rideau de Bruxelles.
Une fois le Conservatoire terminé, vous enchaînez les rôles au théâtre pendant de nombreuses années…mais le grand public vous remarquera dans la série Ennemi public. N’est-ce pas un peu frustrant ?
Non… Je suis quelqu’un qui fait confiance à la vie. Il faut savoir regarder la vie. Il faut savoir la comprendre. La vie est généreuse et très belle… Il faut simplement ne pas prendre les autoroutes, mais les petites routes… Ennemi Public est venu comme ça et ce fut un immense cadeau ! C’était à une période de ma vie où je me disais que j’allais finir ma carrière au théâtre. Et puis, on m’a proposé Ennemi Public et je me suis demandé soudainement si j’étais capable de faire ça. Ce n’est pas parce qu’on est bon comédien au théâtre qu’on est bon comédien à l’écran. Et c’était très très fort de voir que ça a fonctionné… J’ai même gagné le prix d’interprétation à Paris. Mais je n’ai aucune amertume que ce soit venu tard. C’est venu quand la vie a décidé que c’était le moment. Il faut savoir reconnaître les choses qui se présentent à nous et qui sont belles. Le problème avec une expérience comme ça c’est que j’aimerais la poursuivre. Excepté qu’en Belgique, il y a peu de grands rôles qui sont octroyés à des comédiens belges. Je devrais tout lâcher et aller à Paris pour tout recommencer, mais je n’en ai pas envie… Mais de toute manière, je me considère comme un gâté de la vie donc tout ce qui vient après n’est que du bonus.
Vous avez souvent endossé des personnages fous…
Oui, la part obscure de l’être humain. En explorant la part obscure de ces personnages, j’explore un peu la mienne. Ça me permet d’aller au plus profond de moi-même. L’exploration théâtrale ou cinématographique n’est jamais qu’un bon prétexte pour me faire une auto psychanalyse pour enlever le plus de couches possible pour arriver au coeur.
Et quelle couche avez-vous enlevée pour votre rôle actuel dans « L’avenir dure longtemps » ?
C’est une histoire terrible, mais c’est très beau. Il tue sa femme dans les années 80 et puis il passe quelques années en hôpital psychiatrique. Il sort en 1983 et va mourir en 90. Le texte qu’il écrit se passe durant ses années de solitude. Il dit qu’il est responsable de ses actes et veut qu’on le juge. C’est un homme qui n’essaye pas d’excuser son geste. Il essaye de reconstruire son acte. Et le public regarde ce qui va le mener à la mort. On comprend un peu mieux les féminicides. Dans « L’avenir dure longtemps », on comprend très bien qu’une fois que le mécanisme est en place, l’issue sera fatale. Lui, ne va pas s’arrêter. C’est la société qui est autour qui doit l’arrêter, séparer ces deux êtres et pour ne pas arriver au meurtre.
Pourquoi la folie vous intéresse-t-elle ?
Tout ce qui échappe au raisonnement m’intéresse… C’est peut-être pour ça que je n’aimais pas l’école (rire). Tout ce qui est perte de contrôle me plaît bien… On est dans une société où tout est contrôlé. On est suivi, persécuté avec les réseaux sociaux, les emails… Si vous cherchez un lampadaire sur un site, vous allez en retrouver 10 sur un autre site… On est tout le temps observé. J’essaye d’échapper à ça… J’aime quand l’être humain disjoncte, car c’est quelque chose d’intéressant non pas de comprendre, mais de saisir. La frontière est ténue entre une chose et une autre. C’est intéressant de voir les gens venir avec un jugement « c’est un criminel, il a tué sa femme » et puis au fur et à mesure du spectacle, les voir vaciller dans leurs convictions. J’aime beaucoup la complexité de l’être humain dont la folie en fait partie…
Vous réalisez souvent des seuls en scène… Comment portez-vous ces spectacles ?
Le monologue me plait beaucoup, car c’est la rencontre directe avec le public. C’est un face à face que j’aime. Comment vais-je arriver à faire venir le public. Quand on est seul en scène, on est à la fois le grand chef, mais à la fois le seul responsable en cas d’échec (rire) !
Vous êtes fort attaché à Bruxelles ?
Oui, je suis un nostalgique de Bruxelles. J’adorais cette vie nocturne de l’époque. Aujourd’hui les gens sortent moins. On a aussi enlevé une certaine liberté. Quand je suis arrivé à Bruxelles, toutes les communautés vivaient ensemble. Aujourd’hui, elles se replient. Ça se ghettoïse et du coup, il y a des tensions. Tout ça rend Bruxelles moins belle qu’autrefois. Malgré ça, il y a plein d’endroits qui sont magnifiques. Il y a des endroits encore bien cachés et super sympas…. Moi, je trouve que Bruxelles est un grand café ! Il y a plein de bistrots sympas partout. J’adore les bistrots (rire) !
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