Georges Lini :
« La société a les crimes qu’elle mérite »
Georges Lini est un des metteurs en scène les plus talentueux de la scène théâtrale belge. À chaque spectacle, il offre une scénographie inspirante et visuellement forte. Les spectacles de Georges Lini amènent le spectateur à s’interroger sur la société qui l’entoure et à se remettre en question. Actuellement, à l’affiche avec le très drôle et ironique « L’entrée du christ à Bruxelles », nous avons eu la chance de le rencontrer…
BIY: Vous avez été professeur de français et de religion avant d’arriver au théâtre vers 30 ans.
Georges Lini : Oui j’ai eu une révélation tardive…j’ai mis les pieds dans un théâtre pour la première fois à 27 ans. J’ai un jour décidé de faire l’académie en me disant que ça pouvait être utile dans mes cours et une fois arrivé là, ce fut la grande révélation. Après, j’ai voulu tenter le conservatoire, je sentais que si je ne le faisais pas je risquais de devenir aigri. J’ai passé l’examen d’entrée qui s’est révélé être un fiasco total (rire) ! Mais je pense qu’ils étaient touchés par ma démarche, j’avais 30 ans et non 18; j’étais marié, mon épouse était enceinte, j’avais un boulot, j’étais actif…donc redevenir étudiant, ce n’est pas rien. J’ai été accepté et j’ai passé 3 ans magnifiques ! Et pour la première fois de ma vie, je me réveillais le matin en me disant « chouette », la hantise du dimanche soir avait disparu également ! Et c’est toujours le cas même si ce métier est loin d’être facile.
Après le conservatoire, vous enchainez avec le théâtre de poche pour le spectacle « Trainspotting »…
Oui ça c’est un cadeau du hasard ! Je fais une figuration au Poche dans Bent au poche de Derek Goldby . Je suis encore étudiant au conservatoire à ce moment-là… Derek recherche à ce moment-là un acteur pour un remplacement et il flashe sur moi et me propose de passer l’audition ! Je suis pris…Même encore aujourd’hui ça reste un de mes meilleurs souvenirs d’interprète, nous sommes partis 3 mois en tournée… J’ai adoré travailler la-bas, c’était très rock n’roll ces années-là (rire) ! Mais je préfère de loin la mise en scène, car on vit avec le projet pendant plusieurs années…J’aime interpeller le spectateur avec mes mises-en scène, susciter des questions sans y apporter de réponses, de démultiplier les points de vue, trouver un angle de vue particulier pour désarçonner le spectateur.
Et puis en 1997, vous créez votre compagnie Belle de Nuit qui célèbre d’ailleurs ses 20 ans et puis ZUT…
Oui j’étais encore étudiant quand j’ai créé Belle Nuit. En 2004, j’ai créé ZUT à Molenbeek, car en sortant de l’école, je souhaitais monter mes propres projets en tant que metteur en scène. Personne ne me connaissait donc personne ne voulait me prêter de l’argent pour monter mes spectacles. Il n’y avait pas à ce moment-là un lieu dédié à la création de spectacles pour les jeunes. J’ai donc hypothéqué ma maison et avec des amis on a monté ZUT, quelle folie (rire) ! Ça m’a couté beaucoup d’argent, mais ce fut une aventure artistique et humaine folle ! On a eu un succès fou ! Je pense que nous sommes arrivés à montrer que le jeune théâtre a quelque chose à dire. L’aventure ZUT s’est arrêté après 4 années belles et riches…mais éprouvantes, on a fermé, car nous n’avons pas eu de subsides.
Justement vous fermez ZUT à cause de manques de subsides et fin d’année dernière Belle Nuit s’est vu refusée son contrat programme…
En décembre, Belle de Nuit s’est vu refuser son contrat programme. On demandait 200.000 € et on a reçu 40.000€. Le CAD a remis un avis réservé, mais a proposé à la ministre 125.000€. Et la ministre voyant l’avis réservé ne nous a accordé que 40.000€. De plus, il faut savoir que ces 40.000€-là sont réservés pour un spectacle. Or nous en avons 3 par an. L’argumentaire était également incompréhensible…Au-delà, des chiffres, c’est le refus du contrat programme qui a été vraiment douloureux ! C’était une humiliation…on a été jugé par nos pairs. J’avoue que c’est quelque chose dont on se relève difficilement… Là on a écrit à la ministre pour voir si elle ne pourrait pas nous aider autrement, on attend.
Dans « La profondeur des forêts », vous posez le constat que la société a les crimes qu’elle mérite. Dans vos spectacles, de manière générale, vous posez un regard relativement noir sur la société. C’est réellement votre regard ou vous souhaitez interpeller ?
Oui c’est réellement mon regard. Je n’ai pas beaucoup d’estime pour le genre humain, moi y compris…. Il faut vivre avec ses failles et parfois on s’insupporte. Ce que je veux dire c’est que je ne suis pas moralisateur par rapport à d’autres personnes, car je fais partie du lot. C’est le postulat de chacun de mes spectacles même le Feydeau qui est une machine à rire. Ce sont des gens horribles et la métaphore de ce plancher qui monte était qu’ils s’accrochaient à leurs mensonges. Dans « La profondeur des forêts » c’est beaucoup plus fort, plus évident. Deux enfants de 10 ans qui tuent un autre de 2 ans, c’est tout simplement horrible. Mais que s’est-il passé dans la tête de ces enfants ? Peut-on se pardonner à soi-même ce genre d’acte… Je pense que l’être humain sait depuis Auschwitz que le monstre est en nous…et c’est terrible de se dire ça ! C’est important de chercher les causes… En quoi la société est responsable de ce qu’il nous arrive…
2018 est une année importante, le Feydeau au Théâtre du Parc en janvier, les 20 ans de votre compagnie Belle nuit, La profondeur des forets suivi de l’entrée du Christ à Bruxelles à l’Atelier 210, …
Oui ! Tout se met bien en place c’est important de marquer le coup, de réunir tous les gens importants de la compagnie, ceux qui travaillent avec nous depuis de nombreuses années. Avec le contrat programme refusé, j’avoue que cet anniversaire n’est pas aussi festif qu’il aurait dû être ni pour moi, ni pour les membres de la compagnie ! Mais c’est une belle année…Il y a les spectacles que vous avez cités et puis il y aura Caligula à Villers et un spectacle au théâtre du Poche en septembre ! C’est une belle année…
Un projet un peu fou que vous souhaiteriez réaliser ?
Un tour du monde.. J’adore voyager. Je voyage dès que je peux avec mes bouquins (rire) ! En théâtre, je n’en ai pas vraiment… Je suis super heureux de faire Villers-La-Ville, ce décor est naturellement grandiose et j’ai plein d’idées pour Caligula. C’est un beau challenge ! J’ai plein d’autres beaux projets encore…
Plus d’infos ?
Compagnie Belle de Nuit de Georges Lini : Facebook
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