Nono Battesti:
la danse comme moyen de Trance-mission
Nono Battesti est danseur et chorégraphe, mais également directeur artistique de la Compagnie des Sources. Il est actuellement sur la scène des Riches-Claires avec sa troisième création « Trance » qui connait un succès phénoménal. Rencontrer Nono Battesti, c’est entrer, l’espace d’une conversation, dans son univers où la mixité est reine et où il n’y a pas de frontières. Sa liberté et sa passion pour la danse, il les transmet aux spectateurs dès les premières secondes de son spectacle qu’on vit comme un rêve.
Vous êtes né à Haïti et vous avez été adopté à l’âge de 4 ans avec votre petite soeur. Quels souvenirs en gardez-vous ?
C’est très difficile de savoir si j’ai des souvenirs ou pas. On m’a montré des photos, des vidéos et expliqué des choses et je n’arrive plus à faire le tri entre ce dont je me souviens et ce qu’on m’a expliqué. J’avais 4 ans, ma petite soeur 1 an et demi. Au départ, c’était elle qui devait être adoptée, pas moi. Nous étions déjà très liés. Dans les pays sous-développés comme Haïti, les enfants sont plus responsables, plus vite. Mon rôle à moi, c’était de surveiller ma petite soeur. Quand mes parents adoptifs sont arrivés pour venir chercher ma soeur et qu’ils ont vu que nous étions si liés, ils ont eu la présence d’esprit de ne pas nous séparer… C’est une sacrée démarche et une belle générosité ! Nous avons quitté Haïti pour la Belgique et c’est comme ça que nous sommes arrivés dans une famille d’artistes.
Est-ce eux qui vous ont transmis le côté artistique ?
Je ne sais pas si c’est grâce à eux, mais en tout cas, on a baigné dedans. Se diriger dans l’art n’a pas posé de problème puisqu’ils comprenaient. Je pense que si j’avais choisi de faire médecine, ils n’auraient pas beaucoup pu m’aider. J’ai eu énormément d’aide. Mon formateur était mon père. Il m’a vraiment enseigné comment on monte un spectacle, comment ça se passe avec les techniciens … car finalement il n’y a pas d’école pour ça.
J’ai lu que vous commencez la danse par la danse classique, suite à un pari perdu ?
(Rire) ! En effet, j’ai un ami qui s’appelle Tim et qui est également devenu danseur professionnel. À l’époque, sa maman avait une école de danse. Je ne me souviens plus du pari, j’avais 11 ans, ça devait être tellement bête… Et le gage était de prendre un cours de danse classique avec les filles. J’ai perdu et je me suis retrouvé dans ce cours avec toutes ces gamines. Ce fut un calvaire (rire) ! Par contre, j’ai vu que dans l’école, il y avait des cours de break et de hip-hop et là ça m’accrochait ! J’ai voulu essayer et c’est de là que tout a commencé. Sans ce pari, je n’aurais jamais mis mes pieds dans une école de danse.
À 16 ans, vous devenez professeur…
Par hasard, aussi ! Il faut savoir que je suis quelqu’un de maniaque : quand je fais quelque chose, je le fais à fond sinon je ne le fais pas. La danse a pris de plus en plus de place dans ma vie et a balayé tous les autres sports. Cela faisait 5 ans que je dansais et un jour la directrice d’école est venue me voir pour me demander de faire un remplacement, car un professeur avait eu un accident de voiture, pas très grave, mais du coup il était en retard. J’étais en niveau 2, on me demandait de faire le niveau 1 et j’ai accepté. J’étais stressé, je n’avais rien préparé, je n’avais même pas de musique avec moi. Les élèves ont adoré. Le professeur n’étant toujours pas là, on m’a demandé de faire le niveau 2. C’était mon niveau, le stress était plus grand. J’ai donné tout le cours, le professeur n’est jamais arrivé. Il restait à donner cours au niveau 3. Grosse pression. Tout ça sur la même soirée alors qu’à la base, j’étais juste venu prendre un cours. Le lendemain, la directrice a débarqué chez mes parents et m’a proposé de devenir professeur. C’était un grand changement pour moi ! J’ai du me former encore plus, J’ai du aller encore plus loin dans ce que je faisais, apprendre à donner cours, suivre des formations pédagogiques… Puis j’ai commencé à donner des cours un peu partout…
C’est une chose de savoir danser, c’est une autre chose d’enseigner…
Tout à fait ! Ce sont deux métiers à part entière. Il faut avoir la patience de la transmission et il faut susciter la passion… et la passion chez des adolescents ! Et ce n’est pas toujours… (rire)… enfin ce n’est pas un public facile. C’est aller les chercher et leur montrer qu’ils peuvent s’amuser. C’est un vrai métier d’être professeur ! Aujourd’hui, je ne donne plus cours parce que j’ai un peu perdu cette flamme-là. Je me rendais compte que j’enseignais ce qu’on m’avait dit, mais que je n’avais pas expérimenté… Donc j’ai voulu me tourner vers la scène.
Vous avez beaucoup voyagé et j’ai l’impression que ces voyages vous ont enseigné une liberté, un effondrement des frontières que vous transmettez dans vos chorégraphies. Alors qu’avant la danse classique, c’était la danse classique et on ne mélangeait pas les styles.
C’est mon plus grand combat ! On a tendance à dire : « un danseur classique est un danseur classique. Un danseur contemporain, c’est un danseur contemporain »! D’après moi, ça n’a plus de raison d’être aujourd’hui. Pour moi, la danse c’est comme avoir un grand panier que tu alimentes avec ce qui te plaît et ce qui te nourrit. Si tu as le même aliment, tu mangeras toujours les mêmes choses. Je prône la mixité. Tout ce qui existe est bon à prendre. J’ai eu des mentors qui m’ont pris sous leurs ailes et qui m’ont appris des tonnes de choses, mais je n’ai jamais fait d’académie, ni conservatoire… Je n’ai aucun diplôme et je ne m’en porte pas plus mal. J’ai eu beaucoup de mal à l’école non pas que j’étais un élève turbulent, mes professeurs m’adoraient, mais je ne comprenais pas pourquoi on nous faisait apprendre certaines choses. Et si je n’en voyais pas le but, si le professeur n’arrivait pas à me transmettre sa passion, ça ne m’intéressait pas. J’étais également dans la lune, retranché dans mon imaginaire… donc je n’écoutais pas aux cours.
Quelque part votre imaginaire vous aide aujourd’hui étant donné que vous transmettez une idée dans vos chorégraphies…
C’est ce que j’ai développé. Imaginez quelque chose et trouvez le moyen de le réaliser. C’est la raison pour laquelle la chorégraphie et la danse me plaisent, car au-delà de l’art, c’est un moyen d’expression. En plus d’être un enfant qui n’était pas très studieux, j’étais un enfant qui faisait des insomnies. Je dormais très peu la nuit. Je suis toujours un oiseau de nuit. Je trouve que l’ambiance est particulière la nuit et plus propice à se faire des films dans sa tête. Le matin, c’est concret. Il y a une énergie, on y va. La nuit, c’est le moment des secrets… C’est un moment où je suis très inspiré… Quand je travaille sur un projet et qu’il y a un blocage, la nuit qui m’apporte des solutions. Le fait d’avoir eu des insomnies petit m’a permis d’être plus créatif, de me poser plus de questions par rapport à ma vie, à ma situation d’adopté, au fait d’être sans patrie… Il faut savoir qu’en Belgique, on me prend pour un Africain sauf les Africains qui me prennent pour un Antillais. À Haïti, je ne ressemble pas aux gens de là-bas, car pour eux je suis blanc par ma culture et mon éducation. Il y a nulle part où je peux me dire que les gens me ressemblent. Cela m’a posé beaucoup de problèmes, car c’était difficile d’avoir ce sentiment d’appartenance, de pouvoir réellement m’ancrer… Mes insomnies étaient dues à ça… jusqu’au moment où j’ai décidé que mon chez-moi était partout…
Justement dans vos chorégraphies dont la première s’appelle « Sources » et qui parle de votre adoption, de ce sentiment de non-appartenance, non enracinement. Est-ce que ce fut un moyen d’exorciser tout ça ?
C’était un moyen, mais je ne le savais pas tout de suite. C’était le premier sujet qui me venait à l’esprit et dont j’avais envie de parler. C’est après que j’ai découvert l’effet thérapeutique. Aujourd’hui quand j’écris un spectacle, il a tout de suite son sens. Quand j’ai écrit « Sources », j’avais 19 ans, j’étais très jeune. Je l’ai écrit d’instinct. C’était très brut. J’ai retracé mon histoire, mais c’est seulement après que je l’ai investie. Comme j’étais le seul danseur, j’ai modifié des choses tout le temps. Je l’ai affiné et c’est ensuite que l’effet thérapeutique est arrivé et a posé des choses. Mes parents voyaient à travers l’évolution du spectacle, l’évolution de mon état d’esprit par rapport à l’adoption. On pouvait y voir mes craintes, mes propres peurs à travers ce spectacle-là. On a joué ce spectacle 250 fois sur 8 ans, ça m’a permis de mettre une conclusion. J’ai décidé après du chemin que je voulais prendre.
Sur le spectacle « Double », vous rencontrez toute l’équipe avec laquelle vous jouez actuellement dans « Trance » et vous dites que c’est votre « Dream Team »…
Dans « Sources », j’étais avec Didier Laloy qui est accordéoniste. Lorsque j’ai voulu monter « Double », je cherchais un guitariste, mais qui soit également multi-instrumentalistes et je lui en ai parlé. Et il m’a présenté Quentin Halloy. Il a accroché à mon univers, au fait que j’aimais bien composer mes chorégraphies avec la musique et non l’inverse. Dans la danse, par exemple le hip-hop, on danse précisément sur la musique, mais il n’y a pas de musiciens, c’est souvent des bandes-son. Dans la danse contemporaine, il y a des musiciens, mais on flotte sur la musique, on ne fait pas vraiment corps avec. Après nous on va loin dans la synchronisation (rire) ! On aime bien se prendre la tête (rire) ! Donc il faut savoir que sur scène, s’il se plante, je me plante… mais c’est ça qui rend les choses magiques. Et puis, on va encore plus loin, car la technique nous suit aussi. On a Cédric Alen qui est au son et qui envoie des effets au même moment. Le spectacle est sur le fil…mais on adore ça. Je danse avec Juliette Colmant… et j’ai appelé ma petite soeur… C’est vraiment la « Dream Team », nous sommes comme une grande famille. Juliette et Quentin sont en couple et viennent d’avoir un enfant, ils se sont rencontrés sur le spectacle. L’éclairagiste, photographe et directeur technique c’est mon frère. Cédric est un ami depuis longtemps… On se connait tous très bien et on fait très attention les uns aux autres. Je ne pouvais pas trouver mieux comme équipe.
Dans « Sources » vous parliez de votre enfance, dans « Double » vous parliez de la question d’équilibre plus âgé et de quoi parlez-vous dans « Trance » ?
C‘est une trilogie et vous êtes la première personne à qui j’en parle. C’est la suite d’une vie. Chaque fois, je raconte des passages de ma vie. « Double » racontait, en effet, un équilibre entre les différentes forces, entre les différentes influences internes et externes. « Trance » est un spectacle plus mature, car on se tourne vers l’extérieur. C’est quelqu’un qui va vivre l’expérience de mort imminente et on a voulu disséquer à quel point cette expérience allait le changer. C’est quelqu’un au départ d’un peu aigri, avec ses démons, ses peurs… et le fait de rencontrer des gens au-delà de leur enveloppe charnelle, au-delà de leur zone de confort, au-delà de tout ce qu’il connait va le transformer… On a poussé le concept assez loin avec l’expérience de mort imminente, mais ça pourrait se poser sur tout : avec une rupture amoureuse, avec la perte d’un être cher, une maladie… Souvent quand on a vécu ça, on voit la vie différemment, mais c’est très conceptuel : comment voyait-on la vie avant ? « Trance » c’est donc ça comment on va transcender la personne qu’on était pour devenir quelqu’un de « meilleur », quelqu’un qui évolue et qui se transforme. Prendre conscience et devenir bienveillants avec ce et ceux qui nous entourent.
Pour le spectacle « Double », vous (et je dis vous pour toute l’équipe) avez reçu le prix du public à Avignon. Comment avez-vous vécu cette récompense ?
C’est bien que vous disiez « vous », car même si je suis le chorégraphe et le concepteur des spectacles, on les met en place tous ensemble. Quand on a reçu le prix du public à Avignon, ce fut d’abord une grande surprise, car on ne savait même pas qu’il y avait un concours (rire) ! Déjà être au Festival d’Avignon était pour moi, une belle récompense en soi. Quand on m’a appelé pour m’annoncer qu’on avait gagné le prix du public, c’était un moment très particulier. J’avais rentré au paravent un dossier pour avoir des subsides qui m’avaient été refusés, mais de manière très très cinglante. C’était à la limite d’une lettre d’insultes. Les spectacles de danse qui sont trop accessibles au public, ne conviennent pas à leurs critères, mais il y avait des phrases du genre : « Nous reconnaissons un certain charisme à Monsieur Battesti, toute fois son travail reste médiocre. » ! Ça voulait dire en gros tu as une belle gueule, mais tu fais de la merde. Alors quand je lis ça en plein festival avec la fatigue, je m’effondre. Et puis le soir, on m’appelle pour me dire que je dois me rendre le lendemain matin au village du festival off pour recevoir mon prix. Je ne comprends plus rien, car d’un côté on me dit que je fais de la merde, mais de l’autre on m’offre le prix du public. C’était donc une énorme joie… en plus celui du public. C’est le meilleur prix que je pouvais recevoir. La deuxième fois, que nous avons fait le festival d’Avignon avec « Trance », on a rempli dès le premier jour jusqu’à la fin ! 180 places avec une liste d’attente de 100 personnes. C’était un rêve de gamin qui devenait réalité !
Est-ce qu’il y aura un quatrième volet ? Et quelle phase représentera-t-il ?
Il est en phase d’écriture. Je ne sais pas encore si ce sera avec la même équipe, je ne sais pas encore si je serai moi-même sur scène… Ce sera un spectacle plus engagé, on va dire même si je n’aime pas le terme engagé, car il y a un côté un peu militant, mais en tout cas plus investi socialement. C’est l’histoire d’un garçon qui a résolu ces problèmes, et qui regarde autour de lui.
Un rêve un peu fou que vous voudriez réaliser ?
Houla…On ne m’a jamais posé cette question… Si je voulais vraiment réaliser un rêve avec l’âge que j’ai et la maturité que j’ai, j’aimerais qu’on recommence à zéro… pas ma vie, mais tout socialement parlant. Dans le développement humain, il y a un moment où on a pris un virage foireux, si je puis dire, et je voudrais qu’on revienne à ce moment-là. Je ne sais pas quand c’est… certainement au moment de la révolution industrielle, ce moment où nous sommes partis dans les excès, et ce dans tous les domaines… On veut envoyer des hommes sur Mars, mais on n’arrive même pas à gérer notre propre planète, nous avons des iPhone qui coutent un salaire, des voitures ultras rapides, mais des limitations de vitesse…. Il y a un moment dans l’histoire où on a donné trop de pouvoir à l’argent et j’aimerais bien revenir à ce moment-là et que tout soit différent.
Plus d’info ?
https://lesrichesclaires.be/portfolio-item/trance-2/