Benoît Verhaert:
« Si tu tombes, tu peux toujours te relever! »
Depuis sa sortie du Conservatoire de Bruxelles en 1995, Benoît Verhaert s’est consacré à l’interprétation, à l’écriture et à la mise en scène dans différents théâtres où il se fait remarquer par son talent incommensurable. Benoît Verhaert jouera dans une soixantaine de pièces et une vingtaine de films. Il fonde en 2010 le Théâtre de la Chute qui propose une création annuelle toujours remarquée du public. Le but est de monter de grands textes de l’histoire de la littérature dans une forme théâtrale épurée et mobile. Mais Benoît Verhaert ne s’arrête pas là… Rencontre avec ce grand Monsieur du Théâtre.
Vous êtes né à Bruxelles en 1964 dans une famille où on ne s’intéressait pas trop à la culture de manière générale, comment y êtes-vous arrivé ?
Je suis un pur Bruxellois puisque je suis né ici et j’y ai réalisé tout mon parcours. J’ai fait mes secondaires au Collège Saint-Michel à Etterbeek. En sortant des humanités, je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire. Je suis allé à l’Université puisque j’étais sensé faire ça. Je me suis retrouvé à Louvain-La-Neuve un peu perdu et j’ai changé de faculté comme ça quasi chaque année. J’ai fait de toute sorte : de l’économie, des mathématiques, de la sociologie …C’est assez horrible ce sentiment d’errance quand on ne sait pas ce qu’on veut faire. Et après quelques années, j’ai décidé de m’inscrire à l’IAD en cinéma. Mes parents étaient contre. Il faut dire qu’à l’époque, l’industrie du cinéma belge était peu développée. C’était incertain de prendre cette direction-là, mais pour une fois il y avait quelque chose qui me plaisait. Puis j’ai raté et je me suis fait jeter de l’IAD. Comme je voulais devenir réalisateur, je me suis inscrit dans une troupe de théâtre pour apprendre ce que c’était d’être acteur et ainsi pouvoir mieux les diriger par la suite...
Et c’est comme ça que la passion est née ?
Oui, ça m’a directement plu ! Donc j’ai continué à faire du théâtre et de plus en plus en amateur, mais je faisais 4-5 spectacles par an. J’adorais l’ambiance d’équipe, de camaraderie et puis le côté artistique. Et puis après avoir fait mon service militaire, l’un ou l’autre voyage, des petits boulots à gauche et à droite… je me suis inscrit au Conservatoire à Bruxelles.
Et comment vivez-vous cette période au Conservatoire après s’être cherché tout ce temps ?
Je l’ai super bien vécu ! Pour la première fois, je me sentais vraiment à ma place et c’était un soulagement ! Je suis devenu un élève modèle, car je n’ai plus eu envie de perdre de temps. J’ai beaucoup travaillé ! Et comme, il y a toujours plus de femmes que d’hommes, j’étais très sollicité pour donner la réplique et en plus comme j’étais plus âgé, j’étais également souvent sollicité pour interpréter les pères, les oncles, les sages … Puis, j’ai eu de grands professeurs comme Pierre Laroche qui m’a merveilleusement bien guidé. Et ma carrière a tout de suite démarré puisque j’ai été engagé avant de sortir du Conservatoire pour un spectacle au Théâtre Royal du Parc.
Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans les projets théâtraux ?
La première chose, c’est le contact avec le public ! C’est un dialogue qui se fait ou qui ne se fait pas, mais c’est quelque chose d’assez enivrant. Quand tu joues, tu traverses chaque fois toute l’histoire. C’est un voyage ! Tu joues tout d’un coup comme une traversée, à l’inverse du cinéma où on joue petit bout par petit bout. Au niveau du jeu d’acteur, c’est assez excitant ! Comme je mets en scène aujourd’hui, je privilégie les textes classiques qui résonnent avec l’actualité.
En 2010, vous montez votre propre compagnie « La Chute ». C’est une envie qui vient comment ?
Cela s’est fait un peu par hasard. J’avais fait l’adaptation de Camus qui était un monologue et qui s’appelait : « La chute ». Je n’étais pas tout seul puisque je me suis associé à Laïla Amezian qui est une chanteuse a cappella de Jazz et un troisième larron qui avait un rôle plus de figuration intelligente. Ce n’était vraiment pas à la base l’idée de faire une compagnie, j’ai simplement fait cette pièce qui a beaucoup tourné et puis administrativement parlant il fallait faire une ASBL. Je n’avais pas forcément envie d’avoir une surcharge administrative. Puis, je n’avais pas envie de créer une famille, car j’adore que les équipes changent. Donc voilà, le théâtre de la chute est né comme ça un peu par hasard et puis d’autres projets sont arrivés et tout s’est enchaîné…
Votre compagnie travaille beaucoup avec des écoles et j’ai vu dernièrement qu’il y a un tout nouveau projet avec le milieu carcéral…
Ce n’est pas seulement jouer devant eux, mais faire différents types d’ateliers comme des ateliers d’écriture. Après on jouera « L’étranger » de Camus dans la prison, mais les détenus auront écrit durant les ateliers d’écriture des plaidoiries qui joueront lors du procès. Après, on demandera les autorisations pour pouvoir jouer ce spectacle dans le théâtre de la ville. Les détenus s’expriment à travers cette plaidoirie. Nous faisons également des animations pour les enfants des détenus avant les visites pour détendre l’atmosphère.
Jouer dans une prison devant des détenus, « L’étranger » de Camus, doit être une expérience particulièrement forte. Comment l’avez-vous vécue ?
C’était un public très attentif. Après, nous avons fait un débat et c’était très enrichissant. Ils se sentaient interpellés par le personnage. Comme c’est un procès, je joue des personnages qui sont dessinés aux gros traits vu qu’ils sont vus à travers le personnage de Meursault. Car si Meursault parait absurde aux yeux des autres, la société parait absurde aux yeux de Meursault. Un moment je joue le juge qui le condamne à mort et je fais un énorme inquisitoire complètement exagéré où je ne le condamne pas par pour ce qu’il a fait, mais pour ce qu’il est. Et j’y vais fort et je voyais les prisonniers qui me regardaient très attentivement… et je termine mon réquisitoire en demandant la tête de Meursault et un des détenus a crié : « La tienne, d’abord » (rire) ! J’ai vraiment sursauté et lui riait ! Ils nous ont remerciés vraiment à la fin, car ils sont exclus de la société et nous, on leur tend la main. Il y avait vraiment beaucoup d’émotion. C’est rare qu’on m’ait remercié comme ça quand je joue au théâtre !
Régulièrement, vous adaptez, mettez en scène la pièce et vous jouez dedans. Ce n’est pas difficile d’avoir toutes ces casquettes ?
J’aime bien ! Après, c’est peut-être pour les autres que c’est difficile. Quand on joue avec le metteur en scène, il faut que ça se passe bien (rire) ! Alors, j’essaye d’être sympathique (rire) ! C’est là où nous ne sommes pas sur le même pied. Mais moi, j’aime bien avoir ces différents rôles comme j’aime quand un metteur en scène m’engage. Il m’emmène dans son propre univers. C’est moins qu’avant, car quand on fait ses propres créations, on vient moins vous chercher. Et encore, ça va puisqu’on vient encore me chercher, mais beaucoup m’ont dit ça… On a l’étiquette du mec qui a sa propre compagnie et qui met en scène lui-même, on est donc moins perçu comme un acteur qui peut servir le projet d’un autre. Mais Dieu merci, on vient encore me chercher…
Vous êtes à l’affiche actuellement au Varia avec « Un fils de notre temps » que vous avez adapté, mis en scène et où vous jouez le.s père.s…
C’est Cédric Cerbara qui est venu avec cette envie. C’est une adaptation du dernier roman d’Ödön von Horváth, l’un des plus grands dramaturges de langue allemande du 20e siècle. Le titre est « Un fils de notre temps », mais ça parle autant du fils que du père. J’ai quatre rôles qui sont quatre figures partenelles. C’est donc l’histoire d’un fils qui est en conflit avec son père et qui décide de plonger dans le populisme. Il va chercher la valorisation par le costume, mais également une place dans le monde. C’est l’histoire d’une jeunesse sacrifiée. Et c’est parce que le père n’était pas au rendez-vous que le fils, c’est perdu ! Comme je suis père, je trouve ça vraiment intéressant de se poser la question: c’est quoi notre rôle de père ou de mère dans ce passage de relais ?
Et justement c’est quoi ? Qu’aimeriez-vous transmettre à votre fille ?
Comme nous en discutions en sortant de rétho, j’étais complètement paumé. Je n’ai pas fait de bêtise, ce n’est pas la question. Mais ce sont des années, de no man’s land. Et je me rends compte que ce qui fut difficile pour moi, c’était de choisir parce qu’on ne m’avait probablement pas fait assez découvrir des choses. J’étais comme coincé dans un couloir qui n’avait qu’un seul sens et si ce chemin ne m’intéressait pas, je n’en voyais pas d’autres. Moi, je trouve que ce qui est intéressant à faire en tant que père ou mère, c’est de faire découvrir le monde. Nous ne sommes pas tout seuls, il y a l’école et nous ne faisons pas le même travail que les professeurs. J’essaye de lui ouvrir les possibles, d’élargir son champ de vision et surtout pas de la conditionner ou de choisir pour elle. De l’amener à faire ses propres choix, mais pour ça il faut qu’elle ait l’information.
Après ce spectacle, le public vous retrouvera au Boson pour une reprise de « The Wild Party »…
Cela fait quinze ans qu’on joue ce spectacle ! C’est un spectacle de cafés-théâtres qu’y s’est créé d’ailleurs dans ces lieux. On a joué beaucoup à la Samaritaine et au Cercle. ça se présente comme un concert de jazz excepté qu’à la place de chanter on raconte une histoire. C’est un texte des années 30. Il y a une ambiance très club de jazz un peu sulfureux. Ça fait 15 ans et on le joue 3-4 fois par an ! Nous sommes toujours les 5 même et nous continuons à nous amuser à le faire et tant que nous continuerons à nous amuser, nous continuerons à jouer.
Et puis, vous enchainez toujours au Boson, avec un spectacle « Pour un oui et pour un non » où vous n’êtes, si je puis dire, QUE comédien ?
Je suis très heureux de reprendre ce spectacle ! Bruno Emsens a une approche sur la direction d’acteurs assez précise. Travailler avec lui est vraiment instructif. Il se base sur la méthode Meisner qui est fondée sur la vérité du jeu, sur l’instant. On ne peut pas tricher, il faut être connecté à son partenaire. Il y a tout un travail, une emprise sur le ici et maintenant. Mon partenaire est Patrice Mincke avec qui j’ai une connivence. Et le texte est subtil, il dissèque une amitié. Jouer ça au Boson qui est une toute petite salle, vous plonge dans l’intime pur donc on ne peut vraiment pas tricher. Quand on joue dans une grande salle, nous pouvons élargir son jeu, mais quand on joue dans une petite salle, il faut être juste au millimètre près. J’adore reprendre un rôle, car il y a toujours une maturité qui arrive avec le temps.
C’est une bonne année pour vous, car juste après vous allez être au Théâtre de Poche avec le spectacle « Ridicules ténèbres »…
Ce projet me rend heureux pour différentes raisons. C’est un metteur en scène qui a fait appel à moi alors que nous ne nous connaissions que de nom. Finalement dans ce métier, les choses sont assez cloisonnées. C’est difficile de passer d’une famille à l’autre, on est vite enfermé. Beaucoup de metteurs en scène travaillent avec les mêmes comédiens probablement parce que ça les rassure. Alors quand Olivier Boudon m’a appelé, j’étais très surpris. Et Olivier est dans la même démarche, il ne me connaissait pas, mais avait envie de me rencontrer. C’est une histoire très sombre. Le film Apocalypse Now s’est inspiré de ce roman. Dans l’écriture, il y a pas mal d’humour. C’est assez désopilant ! L’équipe est géniale ! Je suis ravie, car ça m’emmène tout à fait ailleurs. Et le théâtre de Poche, ce ne sera que la deuxième fois que je joue et j’adore également ce lieu ainsi que l’équipe ! Je suis vraiment content !
Vous avez dit lors d’une interview que votre compagnie s’appelait la chute pour la raison que nous avons évoquée plus haut, mais également parce que dans ce métier, on risque toujours de tomber. Trouvez-vous que c’est un métier difficile ? Faut-il se battre tous les jours ?
Je trouve ça moins difficile par rapport à ce qu’on m’avait dit au tout début. Mais j’ai la chance de pouvoir en vivre depuis 25 ans. Je n’ai pas eu de grande traversée du désert. J’ai eu des doutes, mais les doutes sont un moteur. Ce que je trouve le plus difficile, c’est comme je le disais : c’est très sectaire. Nous sommes tous dans notre petit coin et à la longue ça peut être usant ou décevant, mais on passe à travers. En tout cas, rien n’est jamais acquis ! On peut jouer tout le temps, car tout le monde te veut et puis d’un coup ce n’est plus toi… comme une mode. Mais même si tu tombes, tu peux toujours te relever. Si tu es créatif, tu peux créer tes propres projets et ne plus dépendre du désir des autres. C’est très subjectif tout le temps. Il faut être sensible, mais solide en même temps et ça commence dès le Conservatoire. Je ne sais pas si à 18 ans, j’aurais eu les épaules suffisantes, car les professeurs vont rechercher au fond de toi des sentiments pour vous sculpter. Après ce n’est pas si monstrueux que ça ! Ce n’est pas Hollywood et son univers impitoyable.
Un rêve un peu fou que vous voudriez réaliser ?
On ne m’engage jamais pour faire des choses plutôt humoristiques apparemment je ne suis pas drôle (rire) ! Avant le Conservatoire, je faisais des cafés-théâtres comiques et c’était ça que je voulais faire. Puis au Conservatoire, j’ai découvert le classique et j’ai plongé dedans. Je le fais avec beaucoup de plaisir, là n’est pas la question…mais c’est sur qu’on ne vient jamais me chercher pour ça. C’est jouissif de faire quelque chose de drôle pour les réactions des gens.
Plus d’info ?
letheatredelachute.wixsite.com
Un fils de notre temps : Varia