Riton Liebman:
« La dépendance a quelque chose de mystérieux »
C’est à l’âge de 13 ans que Riton Liebman joue dans son premier film Préparez vos mouchoirs de Bertrand Blier. Par la suite, il tourne dans Allons z’enfants de Yves Boisset, La tête dans le sac de Lauzier, L’addition de Denis Amar, Aldo et Junior avec Aldo Maccione. Il se découvre un goût pour l’écriture et montera les spectacles remarqués comme Dirk le Rebelle, La vedette du quartier, Liebman Renégat. Il réalisa des courts-métrages, dont Mercredi matin pour lequel il obtient le prix du festival de Vierzon. Après une participation à Polisse de Maïwenn, il réalisera son premier long métrage : Je suis supporter du Standard. Aujourd’hui, il revient sur le devant de la scène avec un nouveau spectacle Soissons Dans L’Aisne qui parle de sa cure de désintoxication avec humour, franc-parler et dérision comme Riton Liebman sait si bien le faire.
Vous avez grandi à Bruxelles entouré de 3 soeurs, votre père était professeur à l’ULB. Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance ?
Nous étions une famille assez chaleureuse. On faisait des blagues et on chantait beaucoup… Ma soeur jouait de la guitare. Nous chantions souvent des chansons assez militantes. Mon père aimait beaucoup les chansons révolutionnaires et aussi les Beatles et Maxime le Forestier… Un doux mélange comme beaucoup de familles à cette époque-là… post révolution 68. Et de temps en temps, ma mère chantait en yiddish.
Et puis, le gros tournant arrive à 13 ans où vous passez un casting un peu par hasard et vous vous retrouvez à jouer dans Préparez vos mouchoirs de Bertrand Blier aux côtés de Gérard Depardieu, Carole Laure et Patrick Dewaere…
C’est ce qui fait que je suis là aujourd’hui… Tout le monde connait ça dans sa vie des tournants comme ça… C’est le destin… Alors est-ce qu’on choisit tout ou pas dans la vie ? Mais c’est certain que si je n’avais pas fait ce film, je n’en serais pas là aujourd’hui. C’était par hasard, mais en même temps pas vraiment… car avant de répondre à cette annonce j’étais déjà un gros déconneur à l’école et j’habitais près du théâtre de Poche et j’allais souvent à la patinoire, car il y avait une patinoire avant et j’étais, un jour, rentré dans le théâtre. J’avais assisté 10 minutes à une répétition et je savais que c’était ça que je voulais faire. J’avais vu des comédiens âgés alors de 20 ans… et j’ai su que c’était ça… C’était également un bon moyen pour ne pas aller à l’école et ne plus étudier. Je n’aimais pas aller à l’école, ça ne m’intéressait pas. Je trouvais les profs cons. Bien entendu, il y en avait des chouettes, mais c’était rare. Ils faisaient mal leur boulot, aucune pédagogie marrante… Et en plus, j’étais mauvais élève et en plus il fallait travailler à la maison. Je préférais me casser, m’enfuir, la récré… Après ça a changé…. À 40 ans, c’est là que j’ai compris le bonheur de bien bosser.
Et après vous allez au Conservatoire…
Oui, mes parents voulaient que je fasse quelque chose. Donc, je suis arrivé au Conservatoire sans passer l’examen d’entrée, car un de mes professeurs avait vu le film. Mais au bout de 3 semaines, je m’emmerdais. Même le Conservatoire ne m’intéressait pas ! J’étais jeune aussi… J’avais 14 -15 ans… Mais apprendre du Racine, du Molière.. Ça ne m’intéressait pas… Ce n’était pas, moi.
Et quand commencez-vous à consommer des drogues ?
Je me suis précipité là-dessus, car je savais que ça allait être génial ! Était-ce une échappatoire ? Oui, sûrement, mais tout le monde en a besoin d’une ! La dépendance a quelque chose de mystérieux, car tu ne sais jamais pourquoi ça tombe sur toi… J’ai commencé à 15 ans. À 17 – 18 ans, c’était régulier jusqu’à mes 30 ans. Jusqu’au moment où je me suis rendu compte que c’était nul. Je n’avançais plus, je ne faisais rien… Je me sentais différent, mais d’une mauvaise façon. Je voyais mes amis vivre, évoluer… et je me demandais pourquoi je devais passer par là.
Et quel fut le déclic pour arrêter ?
Il y en a eu mille de déclics… Combien de fois, ne me suis-je pas dit : « Ah c’est horrible qu’est-ce que j’ai fait ? » ? Combien de fois ne me suis-je pas dit que j’allais arrêter sans jamais le faire ? Il faut savoir que quand tu es toxicomane, tu te caches vachement. Tu ne t’assumes pas en tant que toxicomane. J’ai eu deux périodes dans ma toxicomanie. La première avec de la came. Un jour, j’étais en manque et j’avais entendu par d’autres toxicomanes que quand ils n’avaient rien, ils achetaient en pharmacie des médicaments à base de codéine. Donc je suis allé en pharmacie pour m’en procurer. Quand j’ai bu ce sirop à base de codéine, je n’étais plus en manque. C’était donc génial ! Je n’avais plus besoin de courir après des dealers… J’en ai pris tous les jours… Il n’y a pas un jour de ma vie où je ne suis pas allé à la pharmacie… Un jour, je devais partir en vacances avec ma femme et j’avais fait mes provisions de médicaments à la codéine. Et je me suis fait choper… et pour la première fois au lieu de nier, j’ai assumé. Et le fait de le reconnaître m’a entrainé à vouloir faire quelque chose. Je savais que je n’arriverais pas à décrocher tout seul… Donc, j’ai commencé à aller voir des psys, à aller dans des centres… Et puis, je suis tombé sur une publicité dans un magazine pour le centre dont l’accroche était : « Abstinence totale de tout produit modifiant le comportement ». Et je me suis dit que c’était là où je devais aller…
Et vous êtes resté au centre durant 56 jours. Ce n’est pas rien…
C’est rien comparé à une vie ! Deux mois pour te sauver la vie… Mais c’est vrai qu’au début, on se dit que c’est long… qu’on ne peut pas partir deux mois… et on se cherche des excuses. Ça fait partie du déni. Et puis, la cure en elle-même c’est un peu comme le service militaire. C’est dur…mais il y a un côté épopée… C’est un peu comme si tu traversais l’atlantique avec des copains sur un bateau. Tu pleures, tu ris… Et puis, tout change. Quand tu sors, tu ne reprends pas ta vie d’avant. Il y a un programme…
Qu’est-ce qui vous pousse aujourd’hui à parler de cette cure dans le spectacle « Soissons Dans L’Aisne » ?
Parce que c’est un sujet intéressant… et il faut bien raconter quelque chose. Je suis auteur, comédien… Je fais du théâtre… Je raconte des trucs. Pourquoi je ne l’aurais pas raconté ? C’est un sujet en or ! Après si je creuse la question, je suis mort… Je ne me pose pas trop la question sur le pourquoi je le fais. En sortant de ma cure, c’était la première chose que j’ai faite : écrire sur ce sujet-là. J’ai tout de suite vu qu’il y avait une matière incroyable. Quand j’ai une idée, j’attends toujours un peu pour voir si elle tient. Et j’ai écrit 200 pages. Ce n’était pas encore le spectacle, mais une chronique avec tous les personnages que j’avais croisé. J’ai cherché un éditeur, mais je n’ai pas trouvé… Et j’ai laissé tomber… comme d’habitude… Jusqu’à aujourd’hui…
Pour « Soissons Dans L’Aisne », vous avez choisi vos collaborateurs…
C’est ça qui est génial ! Déjà, le théâtre de Poche est une maison qui m’aime et que j’aime aussi. J’ai choisi Gabor Rassov comme metteur en scène. On s’est rencontré, il y a des années sur un pièce à Paris où j’avais un petit rôle. Il écrivait… Oui parce que là, on fait les cons, mais quand il s’agit d’écriture je suis sérieux. Gabor est quelqu’un qui peut être complètement dingue et complètement sérieux. C’est ça que j’aime au théâtre : on est à la fois complètement fou et au travail complètement sérieux. Il y a beaucoup de rigueur dans le travail. Tout a un sens.
Vous portez souvent des volets de votre vie sur les planches. Il y a eu « La Vedette du Quartier » ou vous racontiez vos débuts et votre parcours, « Liebman Renégat » ou vous parliez de votre père…
Ce n’est pas tellement pour parler de moi, mais c’est le meilleur moyen de parler de la vie… de la manière la plus riche et intéressante. Parler de la vie sans sentiments humains, ce n’est pas très intéressant. Et qu’elle est la personne que je connais le mieux au niveau des sentiments humains, c’est moi ! Je ne pourrais pas raconter la vie de quelqu’un d’autre. Ce qui est intéressant dans la narration, c’est de raconter ton intériorité… C’est ça qui fait que tu peux raconter les choses. Ça peut paraître très égocentrique de se raconter comme ça, mais c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour que les autres s’y retrouvent aussi. Et encore plus avec Soissons, car j’avance avec une galerie de personnages que j’ai croisés. C’est important d’en parler aussi avec humour… Car même si c’est lourd de parler d’une cure de désintoxication, il faut la traiter avec le rire !
Prochains projets ?
Prochains projets, si je ne suis pas viré avant (rire)… Il y en a deux ! J’ai un projet de cinéma. C’est l’histoire d’un professeur qui emmène sa classe à Auschwitz et qui va complètement péter les plombs. Lui qui se croyait si super, il va complètement craquer. Et puis, au théâtre je vais parler du troisième volet de mon histoire. Il portera sur la vie d’aujourd’hui. Ce sera moins une épopée… car c’est fini… Je veux dire aujourd’hui je bois mon café et ce qui m’arrive de plus incroyable est de mettre un sucre dedans ! Non, mais… Je vais raconter l’histoire d’un homme qui est complètement fou tout en menant une vie normale. L’histoire d’un mec qui se fait virer du système social et qui décide d’aller au musée tous les jours et qui va lutter pour ne pas devenir complètement fou alors qu’il l’est.
Vous vous considérez comme fou ?
On est tous complètement dingues sinon il n’y aurait pas de guerres… Et si, moi je suis dingue les autres aussi ! Je ne suis pas mieux ou pire que les autres… je suis juste complètement dingue comme les autres. On est fou ! On pense tous qu’à notre gueule. On veut tous un appartement plus grand, des vacances plus chouettes, des amis qui nous aiment… On veut se présenter bien alors que nous sommes des chiens enragés. Une fois que tu le sais, tu fais des efforts. Moi, je dois faire très attention. L’idée d’un peu de pouvoir, on en profite. Je le dis souvent : « Je suis très chouette en interview, mais un gros con dans la vie ». Je gueule, je m’énerve, je suis de mauvaise foi, j’exige des autres énormément de justice alors que pour moi… Je dois faire attention, car j’ai souvent des mauvais comportements. D’ailleurs, une fois que tu te soignes de ta toxicomanie, une fois que le produit est parti; qu’est-ce qu’il te reste ? Tes comportements ! Et c’est ça qui te fait souffrir.
Dans vos interviews, vous dites souvent que vous détestez ne rien faire. Le vide vous angoisse ?
Oui je suis super angoissé à partir de 18h. À 18h, j’ai une angoisse de qu’est-ce que je vais faire et puis ça passe… C’est venu vers 40 ans. C’est l’angoisse du nourrisson, je me suis renseigné… Sauf que moi, je l’ai eu beaucoup plus tard. Il y a beaucoup de gens comme ça… Avant quand j’avais une angoisse, j’allais me défoncer….mais maintenant qu’il n’y a plus ça… Je souffre souvent de la projection d’un truc. Les angoisses passent, mais quand tu es dedans tu ne t’en rends pas compte. Je les gère maintenant en sachant que ça passe. Je vais me faire tatouer « ça va passer » sur mon avant-bras (rire) !
Plus d’info ?
AUTOUR DU SPECTACLE, à l’issue de la représentation:
• Jeudi 6 février à 22h : Rencontre organisée par Bruxelles Laïque au nom de Stop 1921, L’abstinence est-elle la seule voie de sortie à la dépendance aux drogues ?
• Mercredi 12 février à 21h: Rencontre autour de l’addiction aux drogues légales « Mon médecin ce dealer ? », co-organisé avec le magazine Médor