Hélène Theunissen:
« Le désir ne m’a jamais quitté »
Comédienne, metteur en scène, adaptatrice, Hélène Theunissen a, depuis près de quarante ans, travaillé dans la plupart des théâtres de Belgique sous la direction de nombreux metteurs en scène belges. Elle a également joué au Théâtre à Paris et à Lille. Hélène Theunissen a tourné dans plusieurs longs métrages et Séries dont « Unité 42 ». Elle est également depuis plus de 20 ans professeure d’Art dramatique en Interprétation et Technique de la scène au Conservatoire Royal de Bruxelles et elle est la représentante artistique du collectif Théâtre en Liberté. Aujourd’hui, elle présente son nouveau projet « Le Procès » de Kafka pour lequel elle a adapté le roman et mis en scène. Rencontrer Hélène Theunissen, c’est avant tout rencontrer une femme talentueuse, lumineuse, sensible et généreuse avec qui on pourrait discuter durant des heures durant…
J’ai été très étonnée en préparant l’interview. Il y a beaucoup d’archives, d’interviews où vous parlez de vos rôles, mais il y a très peu de choses qui parlent de vous en tant que personne… Est-ce un choix ?
Je suis une très mauvaise communicante. Je préfère parler de mes rôles que de moi même si je sais que parfois il faut passer par là… mais ce n’est pas ce que je préfère…
Comment cette passion pour le théâtre est arrivée dans votre vie ?
Grâce à un professeur de français qui s’appelait Michel Rasquat. Il est malheureusement décédé aujourd’hui, mais c’est lui qui fut un véritable moteur. J’étais à l’athénée royal d’Uccle 2 et ce professeur de français montait un spectacle par an avec les élèves qui désiraient le suivre dans ce projet. Quand je suis arrivée en humanité dans cette école, j’avais 12-13 ans et je me suis dit que j’allais tenter… Au début, je ne disais pas grand-chose sur scène et puis au fur et à mesure des années, j’ai obtenu des rôles de plus en plus importants. Et vers 15-16 ans, le théâtre est devenu une évidence. Je n’étais bonne à rien d’autre qu’à jouer. À l’école, j’étais moyenne. Une élève inodore, insipide, tranquille… l’endroit où je me suis trouvée et où je me suis révélée était le théâtre.
Après vos humanités, vous allez directement au Conservatoire ?
Pas directement ! Mes parents étaient frileux, ils n’étaient pas contre, mais quand je suis sortie de mes humanités, je n’avais que 17 ans. Je pense qu’ils avaient peur pour moi et ils voulaient que j’aie une sécurité. J’ai fait des études de lettres, un peu à contrecœur, mais je me rends compte que ces études m’ont servie par la suite. Et seulement après avoir eu mon diplôme, j’ai fait le Conservatoire. Ce qui est drôle, c’est que dès que j’ai eu mon diplôme en main de « régendat littéraire », j’ai su que je ne m’en servirais jamais. Ce diplôme m’a servi en tant que formation, car il vous prépare à l’enseignement et j’enseigne aujourd’hui. Vers l’âge de 30 ans, j’ai eu l’opportunité de créer un atelier de théâtre à l’Athénée de Woluwe-Saint-Lambert, un atelier qui existe encore, qui s’appelle : « Les enfants d’Hélène » et qui est hyper actif. Je l’ai animé durant 15 ans, tous les samedis matins. Il était ouvert à tous et on faisait un spectacle chaque année. Cette expérience m’a ouvert les portes de l’enseignement. Aujourd’hui, j’enseigne au Conservatoire et ce que j’adore c’est l’échange avec mes élèves. On remet toujours en question l’ouvrage. Je vois cette jeunesse évoluer depuis 30 ans et je trouve ça formidable. Quand il m’arrive d’avoir des certitudes, et j’en ai de moins en mois, ils sont là en contrepoint, en questionnement… Cette profession-là nourrit mon métier et mon métier nourrit cette profession-là.
Une fois, le Conservatoire terminé, vous êtes engagée sur des projets directement…
Oui, une fois le Conservatoire terminé, j’ai directement été engagée au théâtre National où j’ai eu l’occasion de travailler avec des metteurs en scène très percutants pour l’époque. Une chance qui n’existe plus pour l’époque actuelle. À l’époque, le directeur du théâtre National allait voir les jeunes qui présentaient leur concours de fin d’études et les engageait dans la troupe. Cette mentalité aujourd’hui n’existe malheureusement plus. Je suis passée dans les mains de différents metteurs en scène qui m’ont formée et qui m’ont montré la variété du jeu. J’ai appris le métier comme ça. Puis, il y a eu beaucoup d’autres théâtres sur Bruxelles : le Rideau de Bruxelles, le théâtre du Parc, le théâtre des Galeries ….
Vous avez joué dans tous les théâtres de Bruxelles. C’est un très beau parcours ! En avez-vous conscience ?
Oui, j’ai un très beau parcours et très diversifié ! Je suis encore là… J’ai eu beaucoup de propositions comme j’ai eu des moments plus creux. Ça ne m’a pas empêché de fonder une famille, ça ne m’a pas empêché d’élever deux enfants…Si ça devait s’arrêter là, le parcours est plutôt beau avec une grande part de chance, une part de talent sans doute, mais nous sommes toujours mauvais juges de soi et une grande part de désir. Le désir ne m’a jamais quittée. Quand le désir est là, on fait tout pour que les choses arrivent. Le désir m’a amené à développer des projets personnels. Au début, j’étais dans l’attente que les metteurs en scène veulent de moi et puis avec l’âge, j’ai mis en route des projets personnels, j’ai mis en scène aussi… Et donc je n’ai plus attendu qu’on vienne me chercher. J’étais, moi, proposante. Le cadeau de la vie, c’est d’être à la fois encore désirée en tant que comédienne et d’être à la fois proposante… C’est un équilibre qui me convient très bien.
Vous parlez de vos enfants, comment jongle-t-on avec la vie de famille, le rôle de maman et le métier de comédienne qui vous pousse à jouer le soir ?
C’est de l’organisation ! Ce sont des plannings ! C’est prendre son agenda le dimanche et trouver des réseaux de baby-sitters ! J’ai eu la grande chance d’avoir eu des parents extraordinaires et je tiens à leur rendre hommage parce que ma mère a énormément contribué à ma carrière… sans elle, je n’aurais jamais eu l’occasion de faire tout ce que j’ai fait. J’ai fait des tournées internationales où je partais durant des mois et elle venait me rejoindre avec les enfants. Je me souviens qu’on m’avait proposé un rôle qui devait m’emmener un an sur les routes dont au Festival d’Avignon. C’était une pièce mise en scène par Jorge Lavelli avec Michel Aumont, Maria Casarès, Denise Gence… des grands noms du théâtre français. J’ai hésité à accepter cette aventure, car j’avais une petite fille de 18 mois et c’est ma mère qui a insisté en me disant qu’il était hors de question de refuser et qu’on allait s’arranger. Après je m’accorde du temps à moi aussi. Je ne suis pas toujours au théâtre. J’aime voir mes amis, lire … Je suis une passionnée de théâtre, mais encore plus de la vie. Pour moi, c’est important d’arriver à décrocher.
Et puis, il y a la série télévisée « Unité 42 » qui arrive…
Ce sont des perspectives qui s’ouvrent depuis quelques années. Ça n’existait pas, avant. Le cinéma français arrivait pour tourner en Belgique et prenait quelques acteurs belges, mais c’était pour jouer des rôles de figurants quasi. J’ai participé à la figuration de temps en temps, on va dire. Depuis quelques années, on m’appelle pour faire des castings à un endroit où je ne pensais pas être désirée. Je ne démarche pas, je suis très mauvaise là-dedans. Et là tout d’un coup, on m’appelle pour faire des castings que je réussis… je pense que mon âge fait beaucoup. Quand j’étais plus jeune, j’allais à des castings avec la peur au ventre, avec l’idée que je voulais réussir. Aujourd’hui, je suis beaucoup plus détendue. J’arrive aux castings l’esprit tranquille et ça opère mieux. Pour « Unité 42 », c’est une histoire très drôle, car il cherchait un homme au départ, c’était l’inspecteur Bruno – je ne sais plus comment. Le directeur de casting Sebastian Moradiellos m’a appelée pour le rôle et quand il m’a envoyé deux extraits, je vois que c’était un Bruno… J’ai cru que c’était une erreur donc je l’ai rappelé. Il m’a répondu qu’ils envisageaient très bien que le commissaire puisse être une femme. Et je me suis dit que c’était super de penser à la parité. Je pense qu’ils ont bien fait sinon l’équipe de « Unité 42 » aurait été très masculine. C’était intelligent de leur part. Je me suis donc retrouvée dans cette aventure qui m’a beaucoup plu. Je suis encore très novice devant la caméra, mais avec les expériences, ça s’acquiert ! Et c’est un domaine qui s’ouvre à moi et j’adore… J’ai un agent à Paris qui m’ouvre également des portes là-bas. C’est très savoureux d’être novice dans un domaine à mon âge !
Pour le spectacle qui se joue actuellement au théâtre des Martyrs, « Le Procès » de Kafka que vous avez adapté et mis en scène, vous travaillez avec votre fils (Emile Scahaise) qui est cadreur. Est-ce la première fois que vous jouez ensemble ?
Mes deux enfants sont dans ce milieu-là. Ma fille fait de la production de cinéma, elle a créé sa boîte à Londres et mon fils est cadreur. Je l’ai associé au projet et c’est infiniment savoureux. Il vient de sortir de l’école… J’avais besoin d’un cadreur puisqu’il y a une vidéo en live durant le spectacle et ça m’a semblé évident que ce soit lui. Il y a beaucoup d’étudiants que j’ai aidés en les faisant rentrer dans des projets donc pourquoi pas lui ?
Comment le projet d’adapter et de mettre en scène « Le Procès » de Kafka est-il arrivé ?
Je fais partie d’un collectif qui s’appelle Théâtre en Liberté qui est en résidence au théâtre des Martyrs. Ce collectif existe depuis plus de 20 ans. Chaque année, nous faisons un spectacle au théâtre des Martyrs avec parfois toute l’équipe, parfois pas. Cette année, toute l’équipe est rassemblée. On a fait appel à moi, mais je ne mets pas en scène automatiquement. J’avais envie d’une matière littéraire qui puisse rassembler tout le monde et sous les conseils de Maxime Anselin, j’ai relu « le Procès » de Kafka. J’ai tout de suite vu la nécessité de monter cette oeuvre qui parle d’un sujet universel. Et je me suis jetée dans cette aventure depuis maintenant 2 ans. Quand Kafka est décédé de la tuberculose, il a laissé un grand nombre de livres inachevés, dont « le Procès ». Je suis partie de la nouvelle traduction de Jean-Pierre Lefebvre qui est une traduction extrêmement fidèle et je l’ai adapté pour le théâtre. Ça m’a pris un temps fou (rire) et puis j’ai fait tout le travail de la mise en scène. Le roman parle de l’illusion de la vie et aussi du problème métaphysique. Le père de Kafka était un père très autoritaire, totalitariste. À l’âge de 40 ans, Kafka écrira une lettre de 50 pages à son père dans laquelle il parle de ce qu’il a vécu, de la peur éprouvée face à lui. C’est une lettre de règlement de comptes avec son père, mais avec lui-même aussi, car s’il n’avait pas donné autant d’importance à son père, il n’aurait pas subi cela. Il parle donc de la docilité, la servilité qu’il a eue face à ce totalitarisme et au fond le fait d’être docile et d’accepter permet aux tyrans d’agir. On retrouve ça dans son roman « Le Procès », car un homme est arrêté alors qu’il n’a rien fait et pourtant va de façon docile accepter cela. En acceptant lui-même le système, il devient la proie du système.
Kafka a écrit le livre en 1914. Il avait des origines juives. Le fait d’être accusé et assassiné à tort reflète la persécution juive…
Oui, même s’il ne l’a pas vécu, car il est mort avant. Par contre, ses trois petites soeurs vont mourir dans les camps de concentration. Il y avait déjà des mouvements, à cette époque-là, très graves d’antisémitisme. Kafka n’a jamais su, ni même imaginé que ça arriverait. Pour moi, on ne peut pas résoudre la lecture du roman à cette question-là, mais on ne peut s’empêcher de se dire quel visionnaire il a été ! Parce que ça nous fait penser à tous ces gens qui se sont fait arrêtés sans raison et broyés par une machine judiciaire et politique, et qui se sont retrouvés condamnés sans comprendre pourquoi. Pour moi, on ne peut pas résumer « Le Procès » par le politique, car il y a la question métaphysique. Quand on nait, on est déjà arrêté, car on sait qu’on va mourir. On peut traverser du mieux qu’on peut la vie, mais on se demandera toujours : « Qu’est-ce qu’on a fait et pourquoi on meurt ? ». La vie est une illusion, une grande parenthèse, un grand mensonge dans lequel nous participons sans réellement savoir pourquoi. Le théâtre est une illusion également. Une illusion dans une illusion, il y a donc un abîme. Comme le disait Shakespeare : « Le monde entier est un théâtre. Et tous les hommes et femmes n’en sont que les acteurs. Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles. »
Un rêve un peu fou que vous voudriez réaliser ?
Quelque chose, qui n’est pas réalisable, mais que j’aurais aimé c’est être à la Comédie Française. J’ai toujours eu beaucoup d’admiration. J’y allais souvent plus jeune. J’avais un ami qui y travaillait à la comptabilité qui me permettait d’assister à des générales ou des premières… J’ai vu donc l’évolution. C’était un rêve, car il y avait cette idée de troupe et j’ai toujours aimé le collectif peut-être parce que je viens d’une famille nombreuse. J’aime profondément les aventures où je ne suis pas seule. La Comédie Française représente pour moi ce collectif et à la fois, une opportunité de travailler avec des metteurs en scène très différents et de générations différentes… Je suis un peu fatiguée de voir que les jeunes restent avec les jeunes et que les vieux ont les enlèvent. Je n’aime pas être catalogué. Je n’aime pas être réduite à quelque chose. J’aime être beaucoup de choses diverses. J’avais le sentiment que la Comédie Française pouvait m’offrir ça. C’est un fantasme du passé… Un fantasme du futur… Je voulais trouver un texte qui me ressemble et ça c’est fait depuis peu ! Geneviève Damas m’avait demandé de l’aider pour son examen d’entrée à l’IAD. C’est une chose dont on se souvient très fort, elle et moi. Elle est souvent venue me voir jouer au théâtre et un jour elle m’a dit qu’elle voulait écrire un texte sur moi. Le temps a passé… et cet été avec la maladie de mon père, le mariage de ma fille, la soixantaine, sentir qu’on est dans le dernier tiers de sa vie, Kafka … je sentais un bouleversement… J’ai appelé Geneviève pour lui dire que c’était le moment. On a collaboré. Je devais lui écrire des choses. Puis, mon père est décédé en janvier et ce sont des événements qu’elle a vus de près… On s’est vu, on a échangé des emails… et dimanche dernier, elle est arrivée avec le texte et je l’ai lu devant elle. C’était très émouvant… très drôle… très franc. Maintenant, mon rêve ce serait de trouver la production et un metteur en scène… Encore un rêve également… J’en ai pleins (rire) ! Ce serait d’élargir le cinéma….quelque chose de beau… j’ai envie qu’un réalisateur voie quelque chose en moi autre que ce que j’interprète d’habitude : des directrices, des femmes qui ont de la classe, commissaire, mère supérieure … et je pense que j’ai autre chose à donner au cinéma et je voudrais que quelqu’un capte ça. Et le dernier rêve, ce serait de faire quelque chose avec mes deux enfants que j’aime plus que tout…
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