Michael Delaunoy :
« Il n’y a pas de liberté sans contrainte »

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Michael Delaunoy est metteur en scène, directeur artistique depuis 10 ans au Rideau de Bruxelles et professeur au Conservatoire Royal de Mons. S’il cumule les casquettes, il les porte toutes avec passion. Il aime l’exigence, les obstacles et les difficultés l’aident à aller plus loin . Aujourd’hui, il est à l’affiche de « Oh les beaux jours » dont il a réalisé une mise en scène forte et bouleversante. 

BIY: Vous êtes né à Liège en 1968. Quel souvenir gardez-vous de votre enfance ? 

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@Lorenzo Chiandotto

Michael Delaunoy : Je suis un peu un enfant de la balle…Mon grand-père faisait du théâtre, mon arrière-grand-père aussi…Ma mère était comédienne. Tout petit déjà, je trainais dans les coulisses. Le théâtre était déjà bien ancré. Ça m’a laissé des souvenirs très forts. Le plus lointain…je devais avoir 3 ans, j’étais sur les genoux de mon grand-père au théâtre de Verviers et c’était une opérette. Le joueur de flûte avait des souris sur lui. Ce sont des images fortes qui restent gravées à jamais. Avec l’adolescence et comme tout adolescent qui se respecte, j’ai mis de la distance par rapport à ce que faisait ma mère et donc du théâtre, mais j’y suis revenu vers 15 – 16 ans, lors d’un festival d’Avignon. 

Vous êtes allé au Conservatoire Royal de Bruxelles et très vite vous passez de comédien à metteur en scène… 

Oui c’est vrai ! Au départ, je voulais vraiment être comédien. Et puis, les étudiants me demandaient des conseils sur leur manière de jouer, de regarder leur scène…et j’ai pris goût de regarder les autres. La mise en scène m’a tout de suite accrochée. À l’adolescence, j’étais plutôt assez renfermé, assez timide, plongé dans les livres et le théâtre m’a permis de faire le lien entre le rapport intime qu’on peut avoir par rapport à l’écriture et le fait d’aller vers les autres…car le théâtre est un travail de groupe. 

Après le conservatoire, vous créez votre propre compagnie l’Envers du Théâtre et en 2007 vous devenez directeur artistique du Rideau de Bruxelles. 

michael_delaunoyAvec la compagnie, on jouait beaucoup et on tournait dans différents lieux. J’ai eu le désir de vouloir m’implanter quelque part. Puis, il y a eu l’appel à candidatures pour le Rideau et je me suis dit :  « pourquoi pas » ! Je ne voulais pas poser ma candidature n’importe où et ce n’était pas une question de pouvoir, mais de sens. Quand je suis arrivé à Bruxelles à 20 ans, j’allais bien entendu dans beaucoup de théâtre et très régulièrement au Rideau. J’adorais le travail que le Rideau faisait sur les auteurs. C’est un théâtre qui a toujours été découvreur d’auteurs voire qui a suscité des écritures dans une époque, heureusement résolue, où les écrivains belges partaient à Paris pour oublier leur nationalité. Le Rideau s’est inscrit en faux contre ça. L’ancien directeur artistique Claude Étienne avait un flair incroyable. C’est aussi un théâtre qui met l’acteur à l’avant-plan. Donc j’avais déjà beaucoup d’affinités avec le Rideau. Ma candidature a été acceptée à ma plus grande surprise (rire). Devenir directeur c’était endossé un autre métier que celui de metteur en scène. Et assez ironiquement, mon désir de vouloir m’implanter a été mis à mal puisque le Rideau qui était au Palais des Beaux-Arts depuis 1943 a fini par quitter le lieu. On s’est retrouvé en nomadisme jusqu’en 2014 où on a repris l’ancien théâtre XL. Là, on repart en nomadisme puisque nous faisons les travaux de rénovation et on espère sincèrement qu’en septembre 2019, on sera enfin chez nous (rire) ! 

Le fait de jouer dans différents lieux a permis également de rencontrer d’autres publics ? 

Oui, c’est quelque chose de très positif, ce métissage des publics. On va dans des lieux qui ont leur public et nous arrivons avec le public qui nous suit…ça fait des mélanges qui sont intéressants. Après, il ne faut pas se leurrer c’est très épuisant pour les équipes. Nos bureaux sont à Schaerbeek, on joue un peu partout. Nos équipes techniques sont toujours dans Bruxelles, dans les embouteillages, etc. L’équipe administrative est loin du plateau. Pour une équipe, c’est important aussi de pouvoir se retrouver tous ensemble sur le temps de midi, ça crée des liens beaucoup plus forts aussi. C’est bien d’arriver à la fin de ça…même si cette ouverture qu’on a eu forcée, on souhaite en garder quelque chose…dans des collaborations avec d’autres théâtres, avoir des projets tous ensemble…ce qui se faisait peu par le passé et qui se développe de plus en plus. On est plus forts ensemble et au lieu de parler de concurrence, c’est mieux de parler de complémentarité. 

Aujourd’hui, vous êtes à l’affiche en tant que metteur en scène de « Oh les beaux jours ». Un texte de Samuel Beckett. Un texte qui parle de notre lutte contre la perte et pose la question « Qu’est-ce qui reste quand tout a disparu ? « . Qu’est-ce qui vous a plu dans ce texte ? 

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© ALESSIA CONTU

Les pièces de Beckett sont toujours situées dans des espaces apocalyptiques.Dans « Oh les beaux jours » Winnie s’exclame un moment « Oh une fourmi vivante » comme si ça n’existait plus. Ce sont souvent également des personnages déglingués, elle dans la pièce est enterrée, son mari ne sait plus marcher, il rampe. C’est truffé de corps comme ça, empêchés, abîmés … Mais ce qui m’a toujours marqué dans les oeuvres de Beckett et ce qu’il met en évidence…c’est la force du vivant à travers tout ça. Ce n’est pas un théâtre déprimant, il n’y a pas de complaisance… Il montre toujours que la vie s’accroche, l’énergie qu’on met pour avancer… Beckett est un auteur que j’ai découvert adolescent et son écriture m’a fortement marquée par son exigence et ses pièces incroyables, ne ressemblent à rien d’autre. Le texte de « Oh les beaux jours » est comme une partition: une réplique, une action, un temps… et une fois qu’on connait la partition, il faut la jouer. C’est un boulot assez conséquent, mais passionnant évidemment ! Pour moi, il n’y a pas de liberté sans contrainte. Il faut toujours aller plus loin. 

  Photo illustrant l’article : @Gilles-Ivan Frankignoul.

Plus d’info ? 

www.rideaudebruxelles.be

« Oh les beaux jours » se jouera du 17 avril au 9 mai au théâtre des Martyrs.