Antoine Pierre:
« L’inspiration, c’est de l’organisation de pensées ».
Antoine Pierre est l’un des batteurs de Jazz les plus incontournables de sa génération. Depuis ses 18 ans, il tourne avec Philip Catherine et enchaine les projets, enregistre plusieurs albums tout en diversifiant les approches et les styles. Antoine Pierre se démarque et fait définitivement partie de la cour des grands. Depuis 2014, il accompagne le phénoménal Tom Barman dans TaxiWars et créera ses propres projets remarqués par la critique : Urbex et Next.Ape.
J’ai lu que tout petit déjà, vous tapiez sur différents objets avec des baguettes, car vous aimiez les sonorités qui s’en dégageaient…
C’est exact ! J’ai retrouvé des photos chez ma mère. Sur l’une d’elles, je devais avoir 3-4 ans et je tapais sur les barils de poudres à lessiver. Vous savez les grands barils de poudre à lessiver ronds des années 90 ? Dessus, j’y avais mis des cymbales (rire) ! C’était ridiculement drôle et à la fois touchant! J’étais également fan d’un batteur qui, pour l’anecdote, avait les cheveux longs et portait, dans le clip, un singlet orange (rire)! Typique des années 90… Je rêvais donc de me laisser pousser les cheveux et de mettre le même singlet (rire) ! Heureusement, ça a changé depuis (rire) !
Déjà à ce moment-là, vous saviez que c’était ça que vous vouliez faire ?
Pas du tout ! J’aimais la musique pour l’art, je ne m’étais pas imaginé un seul instant en faire « mon métier ». Et puis, je me suis mis au saxophone quand j’avais 7-8 ans et j’ai complètement oublié la batterie et les percussions jusqu’à l’âge de 12 ans où j’ai senti à nouveau cette envie d’en faire. Ce n’est qu’à l’âge de 16 ans que je me suis rendu compte que je voulais faire ça à plein temps. C’est l’âge auquel j’ai commencé à avoir des groupes avec des amis dont notamment un avec Igor Géhenot qui s’appelait Metropolitan Quartet. On a commencé à faire des concerts et ça a vraiment bien marché au point qu’on a eu des engagements. Nous sommes même partis en Algérie pour un festival ! Nous étions comme des fous sans vraiment réaliser ce qu’il se passait. Nous composions et répétions les mercredis et samedis et quand ces jours-là arrivaient, j’étais juste surexcité… Je pense que c’est comme ça qu’on réalise ce qui nous anime au plus profond de nous, ce qui nous met en joie.
En rhéto, vous passez les examens pour entrer au Conservatoire Royal flamand (Koninklijk Conservatorium Brussel). Pourquoi ce choix ?
Parce qu’il y avait Stéphane Galland qui y enseignait. Je pense que beaucoup de gens de ma génération qui se sont dirigés dans le Jazz ont été fortement influencés par le groupe Aka Moon qui est l’un des groupes les plus mythiques de la scène belge. Plus tard, j’ai joué avec eux et le saxophoniste Fabrizio Cassol me dira : « Je t’ai engagé, je le sais parce que tu es né en même temps qu’Aka Moon et je le sens dans ta musique ». Ça me faisait rire et en même temps très plaisir, car j’ai vraiment beaucoup écouté cette musique quand j’étais adolescent. Je suis donc arrivé en 2010 à Bruxelles pour entrer au Conservatoire et j’ai emménagé dans une collocation avec Igor au 3e étage. Et l’enfer a commencé. J’ai eu rapidement des concerts 3-4 fois semaine et il a fallu descendre et remonter à chaque fois la batterie du 3e étage (rire) ! Je ne suis resté qu’une année dans cet appartement, mais en tout cas, c’est certain que j’ai retenu la leçon (rire).
Pendant vos études, vous vous faites remarquer lors d’une JAM par le grand Philip Catherine avec lequel vous travaillez régulièrement… Comment cela s’est-il passé ?
Ce qui est marrant, c’est que la première fois que je l’ai vu, nous n’avons pas joué ensemble. Il était monté sur scène, mais bien évidemment un autre batteur avait voulu prendre ma place pour jouer avec lui. Comme à l’époque j’avais 17 ans, je l’ai cédé. A la fin de la JAM, Philip Catherine est venu me trouver en me disant qu’il aurait bien aimé jouer avec moi. J’étais déjà aux anges ! Nous nous étions juré de le faire la fois suivante. Et puis quelques mois plus tard à une autre soirée, je vois Philip Catherine qui arrive chez moi et qui me demande pour faire une JAM avec lui. J’étais super nerveux (rire) ! Quelques mois plus tard, je jouais avec lui sur scène. J’avais 18 ans. J’étais tellement fier ! Je pensais que c’était juste une fois, comme ça… jusqu’à ce que je reçoive un email de son agent qui me proposait différentes dates de concerts. C’était génial ! Depuis, on a joué beaucoup ensemble et on continue de jouer… J’ai appris énormément de lui. Ça va faire 10 ans, maintenant ! C’est quelqu’un d’extrêmement généreux, qui a une connaissance musicale incroyable. Il ne s’arrête jamais. Il reste toujours ouvert au travail des autres, ils rencontrent plein de musiciens… Il sait exactement ce qu’il veut et c’est génial.
Dans les rencontres marquantes, il y a aussi celle avec Tom Barman…
Tom Barman avait un projet de Jazz depuis un bon moment et il cherchait un batteur. Robin Verheyen (le saxophoniste) nous a mis en contact. Ce qui est énorme et vous allez rire, mais quand je suis arrivé à la répétition, je ne le connaissais pas. J’écoutais tellement de jazz…je connaissais le nom de Deus, mais pas celui de Tom… Je n’avais aucune pression quand il est arrivé (rire) ! Après c’est vrai qu’il a un certain charisme et quand on a commencé à jouer, il improvisait en français, anglais, néerlandais. C’était impressionnant, mais tout se faisait tranquillement, sans stress. Et après la répétition, il a voulu que l’on continue… L’accueil du public fut tout de suite bon et là nous sommes au 3e disque. Ce qui est très intéressant avec ce projet, c’est qu’il me permet de jouer dans des salles plus importantes face à un public qui est plus « rock », mais qui est très ouvert. C’est très enrichissant !
Et puis, il y a New York…
Oui, c’était un rêve que j’avais depuis un certain temps étant donné que 80% environ de la musique que j’écoutais provenait de là-bas ou de musiciens qui avaient émergé à NYC. Arrivé à New York, je suis devenu comme fou… Je faisais en moyenne 4 ou 5 concerts par semaine et je me suis pris une claque tous les soirs, car il y a une grosse concentration de batteurs très talentueux. Je participais aux JAMS également qui commençaient beaucoup plus tard que chez nous. Donc, entre les cours que je suivais, les sessions avec les musiciens et les concerts et JAMS le soir… On peut dire que c’était un horaire très intense ! J’ai perdu du poids là-bas (rire), mais ce fut une année incroyable ! Au bout d’une année comme ça, j’ai eu envie de rentrer pour mettre mes projets en place.
Vous rentrez et vous enchaînez directement avec votre propre projet URBEX. Un projet qui vous fera gagner plusieurs prix et sera très bien accueilli par le public.
Oui, nous avons fait le premier disque et puis nous avons fait une tournée d’une trentaine de dates en Belgique et puis plusieurs à l’étranger. Aujourd’hui, nous sommes au troisième disque sur 4 ans. URBEX a bien évolué depuis ces débuts. C’est important pour moi de remettre les choses en question. De ne pas se dire que tout est établi. Et puis, il y a eu la carte blanche à Flagey qui m’a permis de tester plein d’idées et d’enregistrer le dernier album qui sortira en septembre 2020. Je pense que c’est l’album le plus authentique de tous, car c’est un Live, il n’y a pas de deuxième prise… On ne peut pas tricher. C’est le premier disque live que j’aurais fait avec le groupe !
Vous êtes un peu un boulimique en ce qui concerne la musique. J’ai l’impression que vous n’arrêtez jamais. Après tous les projets que nous avons cités, il y a également NEXT.APE avec Lorenzo Di Maio…
Oui, j’aime dire que je suis schizophrène en ceci concerne la musique (rire) ! Cela faisait longtemps que j’écoutais beaucoup de trip hop et que je fantasmais à l’idée de développer un nouveau projet. Et comme souvent dans la vie, quand on rêve de certaines choses, elles se mettent en place. Le théâtre Marni m’a proposé de faire une carte blanche et c’est ainsi que Next.Ape est né. L’équipe était tellement chouette et le projet tellement porteur que nous avons décidé d’aller plus loin. Et puis, c’est là que c’est devenu un peu compliqué… entre les différents projets et puis l’écriture… Quand tu dois mettre ta patte dans l’esthétique d’un groupe…c’est une tout autre discipline… C’était une tout autre manière de travailler, mais ce fut très enrichissant de changer…
Comment gérez-vous tous ces projets ?
J’arrive facilement à passer de l’un de l’autre… ça ne me pose vraiment aucun problème. Je peux un soir jouer avec Philip Catherine et le lendemain avec Tom Barman. Ce qui devient plus compliqué, c’est la gestion de l’agenda… Je n’arrive pas encore à me dédoubler (rire) ! Mais j’apprends à être stratégique. Après c’est comme pour l’inspiration, c’est de l’organisation de pensées.
La grande question que tout le monde se pose. Vous avez un crapaud quand vous jouez. Quelle est l’histoire qui se cache derrière?
(Rire) J’en ai deux en fait ! J’ai le mâle et la femelle. Il n’y a vraiment aucune question de sexe derrière, je vous rassure… C’est plus une question de sons. L’histoire est que le bassiste de Taxiwars, Nicolas Thys était sur un marché en France et il tombe sur plein de grenouilles qui sont les répliques exactes de celle que nous avons utilisée pour l’enregistrement de l’album et que Tom Barman a littéralement explosée en tapant dessus (rire) ! Donc Nick nous demande s’il doit en ramener… et moi j’en vois une qui est énorme et je lui ai demandé de la prendre. J’avais envie de faire des expérimentations avec. Je lui ai donc mis un micro contact. Ce qui donne un effet vraiment très chouette… J’adore trouver des nouveaux sons avec des objets insolites. Ce qui est marrant, c’est qu’il faut que j’ai un flash d’abord visuellement avant d’essayer quoi que ce soit… C’est de cette manière également que Fred Malempré a trouvé ainsi un son incroyable avec un vieux pot d’échappement des années 80.
Un rêve un peu fou que tu voudrais réaliser ?
Cela fait quelque temps que je tripe sur quelque chose qui n’a rien à voir avec la musique. Je lis beaucoup les livres de l’écrivain Sylvain Tesson et je n’ai qu’une seule envie, c’est d’aller avec quelqu’un qui connait bien le terrain dans le Grand Nord en mode survie. Apprendre à pêcher, savoir quels fruits ou plantes, on peut manger ou non… Loin de la technologie… La reconnexion avec la nature et voir de quoi nous sommes capables hors de notre société.
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Antoine Pierre : Chaîne YouTube