Êtes-vous prêts pour un voyage au pays des monstres et du Ku Klux Klan?

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Êtes-vous prêts pour un voyage au pays des monstres et du Ku Klux Klan? Signé par un maître du genre, encensé par la critique outre-Atlantique, Lovecraft Country est un hommage au pulp et à la science-fiction des années 1950, un roman électrique d’une actualité déconcertante. La chaîne HBO ne s’y est pas trompée en décidant de l’adapter en série sous la houlette de Jordan Peele, le réalisateur de Get Out et de Us. BIY vous parle de ce phénomène en devenir…

Résumé :

Lovecraft-CountryChicago, 1954. Quand son père, Montrose, est porté disparu, Atticus, jeune vétéran de Corée, s’embarque dans une traversée des États-Unis aux côtés d’une amie d’enfance et de son oncle George, grand amateur de science-fiction et éditeur du Guide du voyage serein à l’usage des Noirs. Pour ce groupe de citoyens noirs, il est déjà risqué de prendre la route. Mais des dangers plus terribles les attendent dans le Massachusetts, au manoir de M. Braithwhite…

Les trois comparses retrouvent en effet Montrose enchaîné, près d’être sacrifié par une secte esclavagiste qui communique avec des monstres venus d’un autre monde pour persécuter les Noirs. C’est la première de leurs péripéties… Dans l’Amérique ségrégationniste, Atticus et ses proches vont vivre des aventures effrayantes et échevelées, peuplées de créatures fantastiques et d’humains racistes non moins effroyables.

Avis :

Lovecraft country n’est pas vraiment un roman, mais un recueil de nouvelles reliées par leurs personnages, univers et formant une histoire générale. Chaque texte s’intéresse à un personnage en particulier d’une famille afro-américaine, les Turner, vivant aux États-Unis dans les années 50. Cette narration permet aux personnages de se retrouver sur le devant de la scène le temps d’une histoire et donne également un aspect choral au récit.

Lovecraft-CountryUn des intérêts majeurs du livre est la façon magistrale dont Matt Ruff nous plante le décor de cette Amérique ségrégationniste des années 50. Nos personnages, du fait de leur couleur de peau, ne cessent de subir des  humiliations continuelles. L’insécurité est partout, le harcèlement fréquent. A tout moment, ils risquent d’être abattus sous un prétexte futile. Les quartiers, les toilettes, les banquettes, les tables, sont séparés. On y voit également la résignation de beaucoup de noirs qui préfèrent une mauvaise tranquillité à une juste revendication d’égalité, qui savent aussi qu’ouvrir trop la bouche risque de les mener tout droit à la tombe. On ne peut qu’être écoeurés et révoltés par tant d’injustice. On ressent la terreur de cette famille, on vit son insécurité constante. L’immersion est totale.

Comme si cela ne suffisait pas, au milieu de leurs déboires, nos héros vont devoir en plus affronter des forces occultes! Magie noire, sociétés secrètes, fantômes et monstres issus d’autres dimensions vont faire irruption dans leur quotidien.

Le titre évoque Lovecraft, mais pourtant pas de mythe de Chtulu dans le roman. L’influence est là bien entendu, mais c’est à se demander si Matt Ruff n’a pas surtout voulu citer le grand auteur d’épouvante pour sa réputation de raciste! Ici, l’ordre récurrent des histoires de Lovecraft est renversé : les héros sont des noirs et les occultistes des blancs, le Mal ne vient donc pas de ces étrangers aux traits grossiers que Lovecraft n’aimait pas, il est dans les vieilles familles.

Matt Ruff a écrit qu’il avait été inspiré par l’essai de Pam Nole, Shame, qui exprime la difficulté à être un noir qui aime la Science Fiction. C’est en réponse à ça qu’il a imaginé faire d’une famille afro-américaine, les héros d’une histoire de Science Fiction.

Lovecraft Countryest un roman étonnant qui non seulement vous surprendra par ses aventures emplies de magie et d’occultisme, mais également vous plongera dans un passé (pas si lointain) où le racisme était omniprésent et décomplexé, car institutionnel.

Les différentes nouvelles varient par leur style et chacun donc y trouvera son compte. Certaines sont plus portées sur le rêve, d’autres plus sur l’action, mais toutes composent un formidable hommage au Pulp et à la Science Fiction.

Au final, malgré ses éléments surnaturels, le roman ne fait pas tant frissonner à cause des monstres et fantômes qui le hantent. L’horreur réside ailleurs, elle est tapie dans le comportement humain et dans les problématiques sociales.

Un livre plaisant, prenant et original à découvrir.

« Lovecraft Country » de Matt Ruff (Paru aux Presses de la Cité)