Philip Catherine:
l’inéluctable maestro du Jazz!

Philip-Catherine

La carrière et le personnage de Philip Catherine méritent tous les superlatifs que la langue française puisse donner. Considéré comme l’un des meilleurs guitaristes de jazz de sa génération, Philip Catherine jouera au Botanique, ce samedi 21 septembre, dans le cadre du Saint Jazz Festival. Un rendez-vous unique pour voir le Quartet de ce grand maestro vous transporter dans des conceptions musicales dans lesquelles l’improvisation joue un rôle décisif. Rencontrer Philip Catherine, c’est rencontrer un humble génie du Jazz…

Vous êtes né d’une mère anglaise et d’un père belge et c’est votre mère qui vous initie à la musique, car elle était mélomane…

Philip-CatherineTout à fait ! J’habitais en Angleterre jusqu’à l’âge de trois ans. Mes parents se sont mariés en 1941. Mon père était résistant durant la guerre et il fut envoyé dans les camps allemands. J’étais déjà né et ma mère ignorait si mon père était encore vivant ou non. Il est venu nous rechercher en Angleterre après la libération et nous nous sommes installés en Belgique. Ce fut un grand changement pour ma mère qui, à l’époque, ne parlait qu’anglais. Ma mère était mélomane et jouait un peu de piano, j’avais également un grand-père maternel qui était musicien, mais je ne l’ai jamais connu… Donc oui la musique vient de ma mère et des 78 tours que j’écoutais…

Et c’est en écoutant Georges Brassens que vous vous décidez d’acheter votre première guitare…

Philip-CatherineOui, j’écoutais ses disques à la radio et j’aimais bien… C’était la première fois qu’on entendait de la guitare à la radio de cette manière-là… J’ai donc acheté une guitare et je suis allé chez un professeur pour apprendre. Il n’était pas très fan de Brassens, mais il m’a quand même appris les accords de ces thèmes-là. Deux, trois fois par an, il réunissait ses élèves dans un bistrot près de la Bourse et nous devions jouer un morceau chacun à notre tour. Il m’a appris à monter sur scène. À la Nouvelle Année, il orchestrait un bal et il choisissait l’un ou l’autre élève pour jouer un morceau.

Quand avez-vous décidé de vous consacrer à la musique…

Quand j’ai eu 50 ans, j’ai dit à mon ex-épouse : « Je crois que je suis un musicien » !  Je n’y avais jamais songé avant… Les musiciens que j’écoutais étaient tellement formidables… J’ai fait énormément d’études universitaires en sciences économiques et en philo et lettres… À 17 ans, j’avais joué dans un club de Jazz avec les très grands musiciens:  Lou Benett et Oliver Jackson. Il se trouve qu’un soir, alors que nous jouions, il se trouvait dans la salle un chef d’orchestre André Vandernoot. C’était un très bon concert ce soir-là. À la fin du concert, André Vandernoot est venu me trouver et il a voulu rencontrer mes parents. Il est donc venu chez nous. Il a dit à mes parents : « Votre fils est musicien, il doit continuer la musique ». Mes parents ont répondu que j’irais au Conservatoire, une fois mes études terminées. Et il a répondu : « Surtout pas ! S’il va au Conservatoire, il va perdre tout ce qu’il a ! ». 

Avec Lou Benett vous allez à Barcelone pour jouer…

Philip-CatherineC’est exact ! Lou Benett m’a invité pour 90 jours d’affilée dans un club à Barcelone à la Plaza Real à l’époque de Franco. Je l’ai même vu défiler dans les rues sous les applaudissements. Nous avons joué là de mai à juillet et en même temps j’étudiais pour mes examens. Je jouais de dix heures du soir à une heure du matin et puis je revenais dans ma chambre et j’étudiais jusque 5 heures ! Il faisait tellement chaud durant la journée… J’ai eu droit à 3 jours où je suis revenu à Bruxelles pour passer mes examens. Avant mon service militaire, Lou Benett m’a invité à jouer un mois à Berlin et un mois à Stockholm. À Stockholm, nous jouions juste après Keith Jarrett. Quand nous sommes arrivés, il faisait son dernier concert. Et puis, j’ai fait mon service militaire durant 1 an. À peine mon service militaire terminé, j’ai reçu une lettre de Jean-Luc Ponty, qui jouait avec Frank Zappa à l’époque, qui me demandait de rejoindre son groupe. Je devais encore terminer mon mémoire de sciences économiques. Je ne savais toujours pas ce que je voulais faire dans ma vie et je me suis dit que j’allais faire des concerts en attendant de savoir… 

Vous n’aviez aucune idée de ce que vous alliez faire dans la vie ? 

Aucune ! J’avais même envoyé un curriculum vitae en deux pages à des banques. Sur l’une d’elles, il y avait mes études et sur l’autre ma musique. Il y avait les banques traditionnelles qui me demandaient pourquoi j’avais mis mes projets musicaux sur mon CV, seule la banque américaine avait trouvé cela plus intéressant que mon CV avec mes études (rire) ! 

Pourquoi n’envisagiez-vous pas à l’époque de devenir musicien professionnel malgré toutes ces belles opportunités ? 

Philip-CatherineJe ne savais pas lire la musique déjà…et je me sentais tellement amateur… que cela me semblait impossible. Et puis, il y avait une autre raison..Qui était peut-être de la prudence… Il y avait beaucoup de junkies à cette époque-là. De très bons musiciens de Jazz qui prenaient de l’héroïne. Quand on est dans le jazz, on peut jouer avec des musiciens et puis des autres… Il n’y a pas vraiment de groupe établi. Parfois, je me retrouvais à jouer avec l’un ou l’autre qui était drogué… et ça me faisait un peu peur, car on dit toujours qu’une fois qu’on y touche, on est pris pour toute la vie… Je venais d’une famille catholique avec un enseignement donné encore par des prêtres ! Toutes ces raisons-là, on fait que je ne me voyais pas devenir professionnel… Je me voyais bien étudier toute ma vie. J’ai quitté l’université à âge de 28 ans. Je pense que j’avais trop peur de rentrer dans le monde réel…

J’ai l’impression que vous avez toujours une soif d’apprendre…

Il faut ! Je vais peut-être vous étonner, mais il y a tellement de choses qui me manquent pour être un musicien. J’ai une très mauvaise oreille, par exemple… Je dois écouter beaucoup plus souvent quelque chose pour l’apprendre que mes collègues qui apprennent parfois en une seule écoute…Moi, il me faut parfois quinze jours pour apprendre… Je peux apprendre d’autres choses plus rapidement… et heureusement (rire) ! 

Samedi, vous allez jouer au Saint Jazz festival avec votre Quartet

Philip-CatherineOui, je vais jouer avec Nicola Andrioli au piano, Antoine Pierre à la batterie et Philippe Aerts à la contrebasse. Nous n’avons plus joué depuis très longtemps ! Pour être précis, nous avons joué la semaine dernière à Quaregnon dans le Borinage, ville de mon père et cela faisait très longtemps que nous n’avions plus joué. Nous avons un très grand répertoire avec beaucoup de thèmes. J’aime choisir en dernière minute… C’est la raison pour laquelle je ne sais jamais répondre quand on me demande ce que je vais jouer ! Certains thèmes, j’en suis certain comme Seven Tes, quelques compositions de Nicola Andrioli, un thème de Brassens, … Nous jouons de manière très interactive, nous nous écoutons bien…ce qui fait que nous avons beaucoup de plaisir à jouer ensemble. Nous ne jouons jamais les morceaux de la même façon, ils nous arrivent de changer des choses en cours de route…dans le volume…dans l’intensité… Il y a beaucoup de paramètres en musique… pas seulement les notes, mais la façon dont on joue les notes, la force avec laquelle on joue…

Quelles sont les qualités qu’un musicien de Jazz doit avoir selon vous ? Le Jazz est assez exigeant…

Oui, c’est très exigeant. Il faut qu’il ait un bon timing, un bon tempo parce que sinon il n’ira nulle part…Personne ne voudra jouer avec lui. Il n’y a pas de chef d’orchestre en Jazz donc s’il y en a un qui n’entend pas le tempo, il devient vite un obstacle. Ce qu’il y a de difficile avec les jeunes maintenant, c’est que quand on cherche un musicien, on ne cherche pas un compositeur…et la plupart des jeunes musiciens que j’entends maintenant passent la plupart de leur temps à composer au lieu de jouer. Si un pianiste vient me faire jouer toutes ces compositions, ce n’est pas ça que je cherche dans un groupe…sauf bien entendu s’il est doué… J’adore jouer les compositions de Nicola Andrioli… Il faut apprendre à jouer des mélodies et savoir accompagner. Tout dépend de l’instrument qu’on joue bien évidemment, si on est trompettiste on n’accompagne pas, mais si on est pianiste, guitariste, bassiste ou batteur, on est des accompagnateurs. Il faut apprendre à accompagner le mieux possible. Miles Davis a toujours pris les meilleurs accompagnateurs comme John Coltrane qui avait comme batteur Elvin Jones. Elvin Jones joue de manière très riche, très complexe…On pourrait croire qu’on va se perdre avec lui, mais non seulement on ne se perd pas, mais c’est terriblement complexe sans être compliqué. Il y a une grande différence entre les deux ! Si on joue des choses que personne ne comprend, c’est un peu difficile ! Il faut avoir des dynamiques, il faut pouvoir jouer fort, pouvoir jouer doux… D’être discret aussi, ne pas être intrusif…Je n’aime pas les musiciens intrusifs… Le Jazz est une musique exigeante mais tellement forte…

Plus d’info ?

www.philipcatherine.com

Saint Jazz Festival : concert de Philip Catherine 

 

 

Photos : @Brussels Is Yours