Rencontre avec David Bartholomé du groupe Sharko
Qui n’a jamais fredonné une chanson de Sharko ? De « I went down » à « You don’t Have To Worry » en passant par « Sweet Protection », Sharko a multiplié les tubes rock parfois qualifiés de « pop surréaliste » ou « avant-pop ». Sharko est un trio composé de David Bartholomé (fondateur du groupe, auteur-compositeur-interprète), Teuk Henri (guitariste) et divers batteurs associés. Plusieurs concerts prévus en 2019. Il est également parrain du festival de musique et cinéma « Discovery Festival » organisé par la Y-house. Entretien avec David Bartholomé.
Vous êtes né et vous avez grandi à Arlon. Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance musicalement ?
Je me souviens que quand la télédistribution est arrivée dans notre famille, ça nous a permis de faire des découvertes musicales incroyables notamment en Allemagne ou avec la variété française au travers des émissions de Michel Drucker ou encore la BBC… C’était une fenêtre sur le monde… Puis, il y a eu mon frère qui écoutait des disques comme Led Zeppelin ou d’autres groupes ou chanteurs de l’époque. Je n’adhérais pas à tout, mais j’écoutais, je découvrais…et j’ai plongé dedans (rire) ! Mon frère avait également une guitare. Nous avions une différence d’âge telle qu’il n’a pas voulu m’apprendre, par manque de patience, alors que moi j’étais très demandeur…Donc j’ai appris par moi-même en écoutant les disques… Chanter, je n’avais pas du tout ça dans ma tête…c’est venu beaucoup plus tard.
À 19 ans, vos partez aux États-Unis. Comment est venue l’idée de vous exporter là-bas ?
C’est un peu bête à dire, mais j’ai rencontré une fille qui venait de là-bas et je l’ai suivie tout bêtement… J’aimerais tellement dire que j’avais eu une révélation, que c’était là-bas que je voulais m’épanouir professionnellement (rire), mais non…
Que retenez-vous de cette période ?
Tellement de choses ! C’était tellement différent de ce que je connaissais. La culture du spectacle, la culture du divertissement, le côté libéral très agressif … mais surtout le côté où tout est possible. Là-bas, il y a les outils pour grimper. Si tu veux faire du chant ou du stand up, il y avait toute une panoplie de scènes ouvertes et il y avait un public pour ça aussi, un public avide de découvertes.
Vous revenez en 1995. Deux ans plus tard, vous remportez la finale du Concours-Circuit et vous abandonnez le nom Nose Kitchen au profit de Sharko.
Revenir d’un pays où tout est possible, d’un pays où si tu as l’envie, l’ambition, la détermination et un peu de talent; tu peux y arriver… a été une chose assez difficile. Je suis revenu avec une candeur, un enthousiasme un peu fou… Le premier soir de mon retour, je suis allé sur la Place Saint-Boniface. À l’époque, il y avait 3 bars très connus, dont l’Ultime Atome. J’ai demandé pour faire deux chansons, mais quand j’ai vu la tête des gens…ça m’a refroidi ! Ça m’a pris deux années avant de trouver ce concours… Je sais que je n’étais pas du tout adapté au format classique. La structure de mes chansons était différente, j’étais seul avec ma guitare…et pourtant j’ai gagné !
Vous avez lancé les concerts à domicile, c’était également montrer une différence… une sorte de rébellion, car les radios ne vous suivaient plus.
Je ne pense pas être le premier à avoir fait des concerts à domicile, mais par contre je m’y suis attelé avec beaucoup d’organisation et de sérieux. Je voulais en faire 12 et j’en suis à 180 (rire) ! Il y a une telle demande de la part du public qui veut tellement consommer de la musique différemment, ils veulent plus d’humanité. Ils veulent aimer…et bien souvent ils ne trouvent plus le vecteur… Et d’un coup, tu as un mec qui arrive avec sa petite bagnole chez toi et qui, assis sur une chaise Ikéa te communique son artisanat, ses chansons… C’est incroyable, c’est une super expérience !
Ce qui est fou, c’est que Sharko est un groupe qui a plusieurs albums à son actif, très souvent récompensé… Pourquoi les radios ne vous suivent pas ?
Ce n’est pas dommage, du tout. Mon observation est assez simple. Les radios soulignent l’air du temps et aujourd’hui l’air du temps est à la variété, au rap, au hip-hop, l’électro. Donc, c’est normal quand tu fais du rock… Je n’aime vraiment pas le dire, mais cette histoire de quotas ne sert pas les artistes en Belgique. Tu fais de la musique parce que tu aspires à ça et pas pour passer à la radio…ça n’a aucun sens.
Il y a une rencontre relativement incroyable avec Julien Doré. Tout commence quand il interprète une de vos chansons lors de son casting à la Nouvelle Star. Vous vous êtes rencontrés par la suite… Ça doit être flatteur d’influencer des jeunes artistes.
À l’époque, c’était vraiment incroyable qu’un mec du fin fond du sud de la France aspire à des choses plus souterraines et choisisse un de mes morceaux.. C’était vraiment improbable… Quand on s’est rencontré, je ne voulais pas avoir un positionnement opportuniste. Je ne voulais en aucun cas qu’il pense que je le rencontrais parce qu’il avait gagné…Il était dans un moment assez déroutant… tout changeait pour lui. Il s’en rendait compte. Il n’aurait plus la même vie du jour au lendemain. Je me souviens, je suis allé le chercher à la Gare du Midi pour l’accompagner à un hôtel qui se trouvait pas loin de chez moi à Saint-Gilles et tous les 50 mètres, on devait s’arrêter, car les gens le reconnaissaient. Quand un artiste est dans un moment charnière comme ça, il doit avoir un ancrage très fort pour ne pas se perdre. D’autres artistes, que moi, auraient eu un positionnement beaucoup plus opportuniste et il en aurait profité pour aller à Paris avec lui… humainement ça n’aurait pas été très beau.
https://www.youtube.com/watch?v=EwaKPkTaAh8
Et vous la célébrité à l’échelle de la Belgique, vous la vivez comment ?
On ne peut pas vraiment dire qu’il y ait un Star System en Belgique. Sharko a un autre statut ! Je peux faire mes courses tranquillement ! Les gens connaissent le nom et deux, trois chansons et pas toujours le visage qui va avec !
Dans une interview, vous dites que votre album « You don’t have to worry » est le plus abouti…
Ce n’est pas le plus abouti, mais c’est le plus cohérent. Du premier au dernier morceau, on sent les couleurs qui sont plus cohérentes. L’album n’est peut-être pas le plus abouti à bien des niveaux, mais c’est la première fois que dans les morceaux, j’ai une continuité et une cohérence, une constance dans certaines émotions, dans les tons utilisés. J’avais l’habitude d’être plus éclaté, d’avoir plusieurs styles possibles et de tout mélanger. Et là, c’est très cohérent… J’en suis très satisfait !
Votre plus beau souvenir…
Il y en a beaucoup….mais je pense avoir été bouleversé par les concerts à domicile. Il y a des émotions très fortes que tu captures ou que tu peux susciter, des regards … ça a du sens…dans un monde où on en manque, ça a du sens…. J’ai l’impression d’être utile… la liberté de faire également ce que tu veux, comme tu veux sans contraintes.
Plus d’info ?
Photo illustrant l’article : @Christophe Vanderborght