Jo Deseure:
« Il est grand temps d’enchanter le monde au lieu de le désenchanter »

Jo-Deseure

Jo Deseure est comédienne depuis le début des années 80. Elle travaille avec les plus grands metteurs en scène. Seule en scène ou dans une distribution, elle marque les esprits par son charisme et son talent incommensurable. En plus de fouler les planches, Jo Deseure passe devant la caméra, notamment dans Un homme à la mer, Sœur Sourire ou encore Toto le Héros.

Petite, rêviez-vous de devenir comédienne ? 

Jo-DeseurePas du tout ! C’est venu à l’âge christique. J’avais fait des études d’institutrice et je suis devenue professeur de gymnastique (rire).  Adolescente, j’avais participé à quelques petits trucs à une maison des jeunes communistes à Annecy. Ce vent-là m’a emporté dans la culture. Je ne dirais pas qu’à l’époque j’étais inculte, mais j’avais la culture des champs, des prés, des paysans… J’étais dans la campagne et donc nous n’avions pas de livres ou autre. J’ai donc pris la culture comme quelque chose de vital. Je défends la culture… C’est quelque chose d’aussi vital que l’eau. À 33 ans’ai décidé d’aller à l’INSAS, car il n’y avait pas de limite d’âge. C’est vraiment le vent qui m’a poussée dans cette direction… 

Et comment vivez-vous l’INSAS ? Comme une révélation ? 

Jo-DeseureIls nous ont appris l’autonomie. C’était le début des années 80, il y avait beaucoup de jeunes théâtres, beaucoup de gens curieux… J’étais très heureuse d’être avec eux. Mais l’INSAS, nous a vraiment appris l’autonomie et l’imaginaire… Il y a énormément de composantes et d’imaginaires quand on interprète un personnage… Je les remercie vraiment beaucoup de nous avoir appris ça… 

Vous terminez l’INSAS en 1984… Le métier, le milieu étaient-ils différents d’aujourd’hui ? 

Jo-DeseureJ’étais différente aussi (rire)… On répétait beaucoup plus qu’aujourd’hui. Maintenant, il y a une sorte de schéma de 6 semaines de répétition. À l’époque, on répétait deux mois. On avait le temps de la maturation… L’aisance des répétitions a changé. Je pense que l’économie nous absorbe, nous squatte…et malheureusement, la culture subit également ça. Je trouve que nous sommes colonisés. Ce monde du marché est très fort. Je suis en colère et dans la résistance. Pourtant, je n’ai pas envie d’être en colère. J’ai envie de faire mon métier tranquillement. 

Après l’INSAS, vous enchaînez les rôles…

Jo-DeseureNon, c’est faux… j’ai eu du chômage en veux-tu en voilà et heureusement que nous avons le chômage. Je n’ai jamais enchaîné, j’ai toujours eu le temps de me rendre compte de ce qui m’arrivait. Cette année, le planning s’est fait comme ça. Je me suis même dit qu’il fallait que je tienne le coup, car je ne suis plus toute jeune (rire) ! Pour l’instant, ça tient toujours (rire) ! Tous les comédiens font ce métier avec enthousiasme et nous sommes heureux de faire ça. Ce sont des suites d’aventures que nous passons avec les gens. Cette aventure vécue, c’est quelque chose de merveilleux. Quelle chance nous avons de faire des voyages toujours différents avec des personnes différentes. En tant que comédiens, nous devons nous fédérer autour de ça. C’est chouette dans l’ambiance actuelle, ces moments-là. Le théâtre est un lieu de partage. C’est vraiment un partage d’énergie. Dans le paysage actuel, le théâtre ne détonne pas. Ce n’est pas un pesticide (rire) ! 

Lors de ces moments où vous n’aviez pas de projet… Y a-t-il eu des moments de doutes ? 

De doutes ? Si je veux faire un autre métier ? C’est régulier, ça (rire) ! Un moment, j’ai suivi des cours de sculpture en académie… Je me voyais déjà sculptrice (rire) ! L’enthousiasme aidant, c’était parti ! Des fois, oui…et puis après on se demande ce qu’on peut faire… et puis on se dit qu’on est bien là où on est et on continue. 

Qu’est-ce qui vous ressource ? 

J’aime me ressourcer avec la culture, mais je crois que l’endroit où je peux me lâcher, être juste là et m’émerveiller encore un peu…car on ne sait jamais…c’est la nature. 

Comment choisissez-vous les rôles ? C’est un coup de coeur pour l’histoire ? Les personnes qui entourent le projet ? 

Jo-DeseureUn jour, on m’a demandé quel personnage je voudrais faire… Racine, j’aimais bien… C’est la tragédie ! Médée est un personnage que j’aurais vraiment voulu faire, mais il ne faut pas le faire avec n’importe qui (rire) ! J’aurais adoré le faire avec Pasolini, mais il était déjà mort… Le pauvre… Au théâtre, j’ai eu de belles aventures… J’ai interprété des personnages qui m’ont pris toute ma personne. Mais c’est d’abord le texte ensuite le metteur en scène et les comédiens avec qui je vais travailler… C’est un peu comme quand tu fais du bateau. C’est d’abord la destination… Le texte étant la destination. Si je dois traverser la mer du nord, je vais être moins excitée que si je dois traverser l’atlantique ! 

La première fois que vous m’avez éblouie sur scène, c’était dans Facteur Humain. Une pièce écrite par Thierry Janssen où vous incarniez une mère… très David Lynch…

Jo-DeseureAh oui ! C’était il y a 10 ans ! Il y avait beaucoup de couleurs dans cette pièce. J’étais blonde et je chantais (rire). Je chantais en différé. Je faisais un playback de ma propre voix qu’on avait enregistré et avec le logiciel on l’avait transformée.  C’est chouette de danser, chanter sur scène… La comédie musicale, je pense que je n’en serai pas capable…mais c’est chouette… Il y a encore tellement de choses à faire… 

Dans Sonate d’automne, vous interprétez également un rôle fort d’une mère…

C’est surtout une aventure… Une aventure avec Julie (Duroisin), Francesco (Mormino) qui sont partie prenante… C’est une aventure forte parce qu’elle nous met en danger et qu’elle révèle des choses en soi. 

Où puisez-vous votre inspiration pour interpréter un rôle ?

Jo-DeseureUn petit peu partout…Des photos, un film… Une fois que tu sais que tu vas jouer un rôle, toutes les antennes sont dehors et tout correspond au rôle. J’ai beaucoup d’émotions dans mes lectures. Il y a un moment où une phrase résonne comme une vérité. Il y a des exergues avec le rôle comme ça…La rue est un territoire très important puis il y a les rêves aussi. Ça agite un peu le cocotier… L’inconscient travaille…On a des exemples dans notre vie… Et puis, ça prend tout ! Je me soigne, mais j’ai un fond de tragédienne (rire) ! La vie doit être une exaltation, mais il faut que ça me ronge un peu. Dans Sonate d’automne, je sens au fond la légèreté du personnage. Elle arrive avec un tel besoin d’amour, mais elle a la légèreté. Elle a du déni. Elle ne veut pas être embêtée. Il n’y a que la musique, le piano qui compte. C’est vraiment l’artiste qui sait comment elle est, mais qui ne veut pas s’embarrasser du quotidien. Elle essaye de ne pas rentrer dans la pesanteur. 

Charlotte dans Sonate d’automne est une mère très égocentrique, qui ne s’occupe pas vraiment de ses enfants…

Jo-DeseureLà, vous allez réveiller la féministe qui est en moi (rire) ! Je me suis toujours insurgée contre ça. Je comprends que l’on regarde ce personnage comme ça. C’est pour moi, une pièce qui parle plus du « à chacun sa vérité ». C’est-à-dire qu’on perçoit les choses différemment des autres. C’est une femme qui a travaillé son piano pour se sortir d’une enfance qui n’était certainement pas malheureuse, mais où les enfants n’avaient pas beaucoup de place. C’est vraiment la transmission. Mon personnage a ses raisons que je défends. Elle a beaucoup travaillé, elle est devenue virtuose. Son mari qui ne gagnait pas bien sa vie est resté avec les enfants alors qu’elle donnait des concerts. Pourquoi reprocher à ses femmes de partir ? Elles revenaient quand même… C’est une femme qui a travaillé pour subvenir aux besoins… On ne reproche pas à un homme de faire ça ! Et ça, ça me met la fibre féministe à vif ! Par contre, ce qui est discutable c’est comment on transmet inconsciemment ce qu’on a vécu… Et ça, c’est une responsabilité. Je la défendrai tout le temps (rire) ! 

Qu’est-ce qui vous met en colère et qu’est-ce qui vous enchante ? 

Jo-DeseureIl n’y a pas grand-chose qui me met en colère aujourd’hui. Quand j’ai commencé ce métier, je ne sais pas pourquoi, mais je voulais prendre le public à parti et l’engueuler (rire) ! J’étais en colère et je voulais qu’ils écoutent ce que j’avais à dire ! Je voulais le réveiller (rire) ! Ce que j’ai compris avec les années, c’est que tout est lié, tout se tient. Le théâtre est un endroit où les énergies s’échangent. L’émotion est une espèce de vague qui se transmet de toi au public et du public à toi. C’est donné, partagé… J’étais vraiment dans une erreur gravissime quand je voulais engueuler le public. C’est une chose en moi qui a oeuvré. C’est peut-être la vieillesse… C’est quelque chose qui me surprend aussi et ça m’enchante. Je pense qu’il est grand temps d’enchanter le monde au lieu de le désenchanter. Entre nous, on a le droit de s’enchanter. 

Plus d’info ? 

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Photos : @Brussels Is T-Yours