Que penser du film « Joker »?

Joker

Chef d’œuvre jouissif et subversif pour les uns, film immoral et surestimé pour les autres, « Joker » fait beaucoup parler de lui! BIY donne son avis sur le phénomène du moment.

Résumé :

En 1981, à Gotham City. Arthur Fleck travaille dans une agence de clowns. Méprisé et incompris, il mène une vie en marge de la société et vit dans un immeuble miteux avec sa mère Penny. Un soir, il se fait agresser dans le métro par trois hommes, le poussant à les tuer en retour. Si son geste inspire une partie de la population, Arthur bascule, lui, peu à peu dans la folie pour devenir le Joker, un dangereux tueur psychotique.

Avis :

JokerLe pari était risqué. Pourquoi une origin story à un personnage qui n’en a pas besoin? Pourquoi Todd Philipps, le réalisateur de « Very Bad Trip »? Pourquoi sortir une nouvelle adaptation du Joker un an à peine après la sortie de l’épouvantable « Suicide Squad » et de sa nouvelle (non moins épouvantable) interprétation du personnage par Jared Leto? Comment succéder à l’incarnation torturée et flamboyante du regretté Heath Ledger (qui recevra pour ce rôle un Oscar du Meilleur Second Rôle posthume)?       

Il faut avouer que sur papier, le film partait grand perdant. Et puis, la surprise! Projeté à la Mostra de Venise, Joker est salué par une standing ovation de plus 10 minutes et remporte le Lion d’Or. Du jamais vu pour un film dit « super-héroïque »! On ne parle plus que de la prestation bluffante de Joaquin Phoenix.

JokerEt effectivement, Joker est certainement la grande bonne surprise de l’année. La flopée de films hollywoodiens de super-héros privilégiant de plus en plus le commercial au détriment des ambitions artistiques fait bien pâle figure à côté de ce pur régal cinématographique réalisé par Todd Philipps. Le réalisateur signe ici un immense film d’auteur populaire aux délicieuses et assumées influences scorsesiennes. On pense tout d’abord à « La Valse des pantins » (King of Comedy). Robert De Niro (d’une sobriété exemplaire!) joue ici un personnage d’animateur de talk show proche de celui de Jerry Lewis qu’il harcelait dans le film de Martin Scorsese. Et puis, bien sûr, outre le même New York écrasant, le lent glissement vers la folie meurtrière d’Arthur Fleck n’est pas sans rappeler celui de Travis Bickle (De Niro, encore lui!) dans « Taxi driver ». Le pari de Todd Phillips est donc de choisir le Joker, une icône de la pop culture, pour réaliser une étude de personnage semblable à celles que le cinéma américain proposait encore il y a quarante ans. Un cinéma subversif et perturbant car il nous tend un miroir des pires travers de notre société : la violence, l’humiliation, l’injustice sociale, le cynisme… sans jamais nous délivrer une quelconque morale. C’est pourquoi la polémique qui fait rage aux États-Unis et les quelques critiques françaises qui dézinguent le film en le qualifiant de « facho » n’ont pas lieu d’être. A aucun moment Joker ne fait l’éloge de la violence. Bien au contraire, il la dénonce. Bien sûr, on ressent de l’empathie pour le Joker. Il est malmené, certes, mais le film insiste aussi sur le fait qu’il est complètement cinglé. Qu’on dise que l’histoire telle qu’elle est racontée par Todd Phillips puisse motiver un fou à s’armer et à passer à l’action est inconcevable et ravive un vieux débat éternel. Non, un film ne pourra jamais être tenu pour responsable du pire. Le responsable du pire, c’est celui qui le provoque. Parce que pour passer à l’action, il faut déjà y penser avant. Le reste n’est qu’un prétexte, une tentative de comprendre et justifier l’injustifiable.

JokerEnfin, cerise sur le gâteau, comment ne pas parler de l’ahurissante performance de Joaquin Phoenix? Il ne joue pas le Joker, il est le Joker. Son corps décharné transpire le désespoir et la rage. Il faut le voir se déhancher, exécuter quelques pas de danse et effectuer des pirouettes. Et ce rire sans joie, empreint de douleur! Déployant toute l’étendue de son immense talent, l’acteur hante chaque plan du film dans un état de grâce absolu.

JokerJoker est une oeuvre politique et subversive. Le film a beau se passer en 1981, il parle avant tout de notre époque où les opprimés sont non seulement agressés et abandonnés mais sont aussi moqués par les médias. Joker montre les raisons de la colère tout en la définissant comme un ras-le-bol qui déborde et part dans tous les sens. Le film n’invite pas plus le spectateur à s’identifier au Joker qu’à la foule qu’il inspire. Il se contente de tendre un miroir de notre monde actuel. D’une noirceur extrême, le film nous perturbe en insufflant chair et sentiments à ce personnage, symbole absolu du chaos. A l’heure où la révolte gronde un peu partout dans le monde, Joker nous propose un regard terriblement contemporain sur notre société sans jamais porter le moindre jugement : Joker est un humain maltraité et humilié qui finit par faire couler le sang.

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